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Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/247

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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

les intéresser à des souvenirs patriotiques, à des pensées fécondes, propres à fortifier leurs cœurs, à élever les esprits. À épurer le goût par la vue et l’audition des chefs-d’œuvre. De là est né l’amphithéâtre grec. Ce fut dans un but patriotique que ces immenses constructions, d’abord taillées dans le flanc des collines comme à Orange, reçurent les dimensions suffisantes pour contenir toute la population d’une ville, même d’une république. Celui d’Éphèse aurait contenu jusqu’à 100,000 spectateurs. Ce fut un, puissant moyen d’influence, de direction des masses.

L’amphithéâtre d’Orange a 100 mètres de diamètre intérieur. La salle du Trocadéro construit en 1877 peut contenir 4,625 places (à l’instar de l’Albert Hall de Londres).

b) Les Confrères de la Passion furent au XVe siècle les véritables pères du Théâtre en France. Leurs mystères, miracles et moralités tenaient à la fois de la représentation et de la présentation. Le spectacle d’alors joignait à la simplicité du scénario, la multiplicité des plans dans le décor et dans ce décor, l’interminable défilé des épisodes et des images. L’Église à l’exemple du Christ, son fondateur, a toujours employé la parabole.

Au moyen âge on distinguait les différents genres de mystères. Les grandes pièces comprenaient les mystères de l’Ancien et du Nouveau Testament, de l’histoire grecque, de l’histoire romaine, de la vie des Saints. La représentation exigeait quelquefois quatre, cinq et jusqu’à vingt-cinq jours. Le mystère de la prise de Troie ne renfermait pas moins de 40,000 vers.

c) Louis XIV limita à trois les scènes de Paris en 1680. L’origine foraine des spectacles secondaires est due à la lutte entre les scènes privilégiées et la Foire. Celle-ci a vu éclore presque tous les genres hybrides. L’histoire des salles de spectacles correspond plus ou moins à celle des genres.

d) De nos jours, l’exploitation du cinéma est venue complètement bouleverser l’organisation routinière du théâtre. Le théâtre a maintenant lui-même des substituts. C’est le cinéma parlant, la pièce jouée une seule fois et filmée, peut être reproduite partout et à tout moment sans nouvelle intervention des acteurs humains. C’est aussi la pièce entendue au radio et que demain la télévision permettra de voir.

3. Espèces.

Il y a bien des espèces de théâtre, tragédie, comédie, drame, vaudeville, simple farce ; en prose et en vers ; parlé et en musique (opéra, opéra comique, opérette).

Des formes d’art nouvelles surgissent de temps en temps. C’est, par exemple, le Théâtre de Wagner à Beyreuth, le Gœthaneum à Bâle.

4. Composition dramatique.

Les traités de littérature résument les principes que l’histoire, l’expérience ou la convention ont imposés à la composition dramatique. Le nombre a été introduit dans le théâtre. La loi des trois unités, temps, lieu, action, remonte aux Grecs et a reçu une large application chez les classiques français. Il a été fait des recherches pour cataloguer et réduire toutes les situations dramatiques. C’est Gozzi qui en eut la première idée, Goethe le rapporte dans ses conversations avec Eckermann. Georges Polti a repris la question.[1] Gozzi établit que toutes les situations possibles se ramènent à 36. Il indique les références aux cas réalisés dans la littérature et il y ajoute des variétés (ex. le remords, les crimes d’amour, la révolte, etc.). Polti a aussi inventorié le nombre de surprises que nous pouvons éprouver dans l’art et dans la vie et il est arrivé au nombre de 1332 !

5. Personnes : les acteurs.

Au théâtre l’auteur s’adresse au public à l’intermédiaire des acteurs. Ceux-ci ajoutent ou enlèvent à l’œuvre. Il en est comme en musique où les compositeurs sont livrés aux exécutants, mais avec cette différence que la partition musicale réalise une notation plus étroite des intentions de l’auteur que ne le peut le libretto théâtral. Un bon acteur sait traduire avec sa sensibilité profonde les mouvements intérieurs des personnages complexes et nuancés. Il est des acteurs qui ne jouent par leurs personnages, mais qui incarnent, qui sont les personnages eux-mêmes. Ils participent alors à ce caractère d’être eux-mêmes des documents vivants, étant des substituts (des sosies) de ces personnages.

6. Locaux et salles de spectacles.

Les salles de spectacles ont une grande importance. D’elle aussi l’on peut dire que ce sont des appareils à voir et à entendre. Dans l’antiquité, la première forme que revêt l’espace dans lequel le spectacle se déroule est un cercle au centre duquel on organise des danses et des luttes. Plus tard, les règles du jeu se fixant, on leur réserva un emplacement qui fut doté d’une forme architecturale. On y découvre deux types distincts : le cirque et le théâtre. Le cirque embrasse toute la superficie d’un cercle (360°), son prototype est l’arène. Le théâtre arrive d’emblée à une forme parfaite chez les Grecs. Il se modifie à la période romaine ; au moyen âge pour la représentation des mystères, les trois porches des cathédrales servent de scène et le parvis de salle de spectacles. Le théâtre de Shakespeare, datant du XVIe siècle s’écarte de ces formes. Dans les temps modernes, par suite de la rigueur des climats dans le Nord et de la fréquence des représentations qui deviennent journalières, les spectacles quittent le plein air et se donnent

  1. G. Polti (auteur de l’art d’inventer les personnages dramatiques ; de la Notation des Estes) dans le Mercure de France