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Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/316

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CRITIQUE. CENSURE

3. — Critique.

La critique est l’examen raisonné des ouvrages d’esprit. Au lieu d’enseigner directement les principes et les règles, la critique en fait l’application à l’ouvrage d’autrui. Elle ne se borne pas à blâmer ; elle juge ; et son mérite essentiel est d’être impartial dans ses jugements, libre de tout préjugé, dégagée de toute passion, au-dessus de toute faiblesse. Elle n’a en vue que de favoriser, par une juste appréciation des ouvrages d’esprit, le progrès des sciences et des arts.[1]

L’œuvre d’ensemble de la critique, c’est celle d’un commentaire du livre et de la production intellectuelle.

On distingue la critique : a) d’après son objet : littéraire, dramatique, artistique, politique et social, scientifique, bibliographique, la critique des textes ; b) d’après le caractère, privé ou officiel de ceux qui exercent la critique ; c) d’après la forme donnée à la critique : opinion ou jugement d’autorité ; d) d’après les suites ou sanctions.

4. — Caractères de l’œuvre à critiquer.

Une œuvre peut être : 1° riche ou pauvre d’idées ou de faits ; 2° complète ou incomplète ; 3° bien ou mal composée, sortie du sujet, digression, disproportion, livre organisé ou non suivant des idées directrices, conclusions dépassant les prémisses ou manque de plan ; 4° bien ou mal écrite (clarté, éclat) ; 5° bien ou mal annotée : références de 1re ou 2e main ; citations distinctes d’une même œuvre ; 6° contenant ou non des répétitions ; 7° de style lourd et monotone ou de style léger, agréable, élevé ; 8° s’il s’agit d’une œuvre d’imagination, avoir des intrigues invraisemblables.

5. — Forme de la critique.

La critique est double : positive ou négative, constructive et destructive. Elle a pour fonction : 1° de coopérer avec les auteurs à la formation des critères dans tous les domaines : vérité scientifique bien morale, justice sociale, beauté dans l’art, dans la nature et dans la vie, la possibilité d’application pratique ; 2° d’appliquer les critères à l’appréciation des ouvrages ; 3° de former ainsi les lecteurs à la connaissance des critères et de les aider à formuler des appréciations sur les ouvrages et conséquemment à mieux choisir leur lecture et les sources de leur information. La critique se différencie du travail descriptif de l’annonce des ouvrages, de leur catalogage, de leur bibliographie et du travail d’analyse et de résumé. En fait, critique et bibliographie s’unissent largement.

Le jugement critique peut être simple et net. « Votre livre est excellent ; votre livre est détestable. » Il peut être un jeu de nuances, ce qui n’est pas nécessairement « le jeu des contredits ». Parfois la critique est ad hominem et, retournant à l’auteur ce qu’il a dit aux lecteurs, devient à son tour sermon et conseil. Le silence de la presse officielle peut être plus terrible que la critique.

6. — Les critères.

a) Il n’y a de critique fondée que s’il existe des critères. Et les critères reposent en définitive sur une Table des valeurs. La détermination de cette Table, a dit Nietsche, et en particulier des plus hautes valeurs, est le fait capital de l’Histoire universelle, puisque cette hiérarchie des valeurs détermine les actes conscients ou inconscients de tous les individus et motive tous les jugements que nous portons sur leurs actes.[2]

Les critères pour le jugement du livre seront de deux sortes : 1° pour juger de sa crédibilité ou valeur scientifique ; 2° pour juger de son degré de séduction ou valeur littéraire.

b) On peut ramener à cinq les critères principaux : 1° vérité scientifique ; 2° beauté ; 3° bonté ; 4° justice sociale ; 5° efficience dans le travail. L’utilisation simultanée de ces critères peut seule fonder la critique.[3]

c) Le travail supérieur de la critique consisterait à éliminer l’erreur du vrai, le mauvais du bon, le répété de l’original.

d) À quoi reconnaîtra-t-on sans contredit qu’un livre a vraiment de la valeur ? On pourrait répondre : à ce qu’il s’impose au lecteur qui aurait voulu d’abord se dérober à son emprise. Mais c’est là du subjectivisme.

e) Les catholiques affirment les critères que la valeur d’une œuvre littéraire est en raison directe de la concordance avec la doctrine catholique.

7. — Les critiques.

Les critiques doivent être des hommes cultivés qui savent mesurer leurs jugements et l’exprimer en langage nuancé. Ils ont eux-mêmes à se prononcer selon les critères, des normes, des lois, des principes, qui ne sont autres que les données scientifiques. Il y a une différence entre l’action critique et l’action publicitaire. Le but est de mettre en relief les vraies valeurs et de laisser dans l’ombre fausse gloire et réputation surfaite. Un critique doit consacrer sa vie à ce genre de travail qu’il a choisi. Son but est de diriger les talents, de leur montrer les moyens dont ils disposent et de les aiguiller vers l’œuvre totale dont ils sont capables. L’auteur écrivait pour ses lecteurs. Le critique est un des lecteurs qui se lève et s’exprime au nom de tous les autres. En principe, le critique doit être indépendant. Dans plus d’un grand journal, le critique dépend du directeur de la publicité.

Il y a maintenant le « prière d’insérer », petit papillon imprimé qui accompagne les volumes du « service de

  1. R. P Brockaert : Le guide du jeune littérateur. 1882. p. 218.
  2. Lichtenberger. — Philosophie de Nietsche.
  3. N. Roubakine : Organisation biblio-psychologique de la bibliothèque d’instruction générale (1933).