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Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/33

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BIBLIOLOGIE

5. La conception nouvelle se fait jour d’une justice effective, d’une santé contrôlée, d’une économie dirigée, d’une politique scientifique, d’une Intellectualité largement coopérative. C’est la mise à contribution de tout l’ensemble des résultats déjà acquis par les sciences et des résultats qu’elles obtiendront demain. Il y a conséquemment un rôle immense entrevu pour la Documentation puisque la collectivité humaine, étendue jusqu’au degré mondial, ne saurait pratiquement établir son action, la poursuivre régulièrement, la prolonger dans toute la sphère internationale qu’en usant des documents.

Dans cette conception nouvelle de la société qui tend à prévaloir, toute réalité si petite soit-elle, apparaît fonction de toutes les autres réalités existantes. C’est dès lors une harmonie et un équilibre permanent qui est à rechercher entre elles toutes, et ceci n’est possible que par une documentation de plus en plus perfectionnée[1].

Il faut attendre des événements mêmes certains effets psychologiques. Ils doivent conduire à une claire vision chez tous des exigences de notre époque. C’est à l’information documentée mise sous les yeux du public à accélérer ces effets psychologiques.

L’Intelligence de la Nation doit être mise en œuvre en même temps que celle de ses mandataires et de leurs organes d’exécution. Tout citoyen a sa responsabilité ; il doit être entraîné à agir. Parmi les idées nombreuses et confuses, il doit être rendu habile à clarifier et à choisir entre elles. Il doit s’exercer à l’acte et sortir du chaos où il se débat.

« Examiner » à quoi correspondent les problèmes, dans l’esprit des peuples et des hommes d’État, les pensées, les projets, les raisonnements auxquels sont suspendus le destin, la prospérité ou la ruine, la vie ou la mort des humains.

Point ne suffit que des hommes, des groupes, des organisations travaillent à dégager et dire ce qu’il faut faire. C’est la masse des citoyens qu’il faut toucher. Leur information est nécessaire, afin qu’avertis, ils fassent vouloir la coopération et contraignent à passer à la réalisation. Tout cela met en lumière le rôle de la Documentation dans la Société.

6. Dans l’Évolution, le rôle du livre à un certain moment est devenu capital. Améliorer le livre c’est améliorer la civilisation, terme global sous lequel viennent se ranger tous les éléments qui composent la société. On constate que l’évolution du corps de l’homme est devenue à peu près stationnaire depuis les temps historiques. Il n’y a guère eu de changements dans ses organes, ses membres, ses sens. Mais il s’est constitué comme un prolongement externe de sa personne. L’un, l’outil prolongement de sa main (main-outil) ; l’autre, le livre, prolongement de son cerveau (cerveau-livre). Il y a là une sorte de développement exodermique opposé au développement endodermique (hors les limites de l’enveloppe cutanée du corps). Ce qui fait penser à ce que les métapsychiciens appellent ectoderme. Perfectionner le livre, c’est perfectionner l’Humanité.

154 Science ou Logique Bibliologique.

Il y a lieu de remonter à la conception synthétique à se faire de toutes choses (Universalisme). À cet effet les distinctions fondamentales sont à rappeler. 1o La Réalité objective (l’homme et la société). 2o La Pensée qui cherche à se représenter cette réalité et qui l’associe à la réalité subjective du moi. 3o L’Expression et la formulation de cette pensée, soit par le langage qui est fugitif, soit par ses signes, l’écriture ou le dessin, en des documents. Le Livre à caractère scientifique peut donc être tenu comme déformations auxquelles ceux-ci sont soumis.

D’autre part la classification des sciences distingue :

Les connaissances, d’abord toutes confondues, sans ordre et d’ailleurs fort élémentaires, se sont ensuite successivement spécialisées à l’extrême. Nous sommes entrés dans une période de synthèse où la corrélation de toutes les sciences est revenue au premier plan des préoccupations.

Il y a donc lieu d’envisager les sciences bibliologiques au même point de vue. Les corrélations seront de deux ordres : 1o) ce qu’elles empruntent aux autres sciences. 2o) ce qu’elles leur apportent.

La Bibliologie n’est pas encore constituée en science et devrait l’être en corrélation et en coopération. Il y a utilité à rappeler les notions fondamentales sur la Science en général et sa formation.

1. Notion de la Science. — Une science est un ensemble de propositions qui constituent un système, un tout qui tient debout.

Laplace (O. C. VII. p. VI) a donné cette formule de la Science : « Une intelligence qui a pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective de ces choses, si d’ailleurs cette intelligence était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse ». La documentation peut fonder la nécessité de son universalité sur cette définition de la science dont elle doit être l’auxiliaire.

Toute réalité concrète n’offre que de l’individuel. C’est l’intelligence qui par abstraction peut en dégager ce qu’il y a de général. La science d’un objet, d’un ensemble d’objets est précisément constituée par ce qu’ils offrent de général. Dans les conditions d’existence à remplir par les réalités concrètes il y a quelque chose de nécessaire. On peut donc intellectuellement déterminer des types, des espèces, et déterminer les conditions auxquelles doit satisfaire tout objet, tout phénomène imaginable de l’ordre étudié.

  1. Paul OTLET : a) Constitution mondiale, 1917 ; b) Programme mondial, 1932 ; c) La Banque mondiale et le Plan Économique mondial, 1932.