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Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/438

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AVENIR DU LIVRE

Pensée (synthèse ou Philosophie générale de la science), pour l’Activité (économie générale ou organisation), pour l’Émotion (coordination de la sensibilité, et union des arts) pour l’Expression (système général pour traduire pensée, action et émotion en termes intelligibles ; pour en représenter avec un maximum de maniabilité, toutes les parties et leurs ensembles).

d) C’est dans un tel milieu qu’est placée la Classification. On ne saurait plus la concevoir détachée de lui. Une Science bien faite, c’est un Système, et un système c’est la classification. Une Activité ample, normale, régulière c’est de l’ordre qui se réalise et l’ordre c’est la classification. Une sensibilité épanouie c’est une Harmonie d’impressions et de sentiments et l’harmonie c’est la classification.

Ainsi dans la classification doivent se retrouver, comme dans l’instrument intellectuel de la synthèse suprême, et les systèmes de la pensée et l’ordre de l’action, et l’harmonie de la sensibilité. Mais pour exister dans le domaine des réalités communicables, la classification doit s’exprimer. Cette expression elle-même ne saurait être que synthétique et par conséquent elle doit réaliser à son tour les progrès ainsi que ne peuvent plus prétendre nos pauvres langues et notre vieille écriture. Elle doit combiner à la fois le meilleur de ce qu’ont apporté la Terminologie scientifique, la Notation, la Figuration schématique, la Mesure et la Standardisation, la Mathématique (algorithme, formule, calcul).

e) La forme du langage exerce une influence prépondérante sur la forme de l’esprit. Le langage dirige inconsciemment notre mentalité, car il est l’élément essentiel de la pensée. Créer une Classification synthétique avec notation concise des idées, c’est doter l’esprit d’une véritable longue écrite universelle capable d’agir puissamment sur la forme elle-même de la Pensée

f) L’idéal ainsi entrevu est-il possible à atteindre ? C’est déjà s’en rapprocher que de l’avoir clairement défini. Cet idéal permet de préciser les désidérata, condition première.

4. La structure des connaissances.

Cependant quand elle sera devenue vraiment active, la Documentation franchira une nouvelle étape ; elle envisagera la structure même des divers systèmes de nos connaissances qu’on dénomme les Sciences. Combien peu l’on s’en préoccupe en ce moment, et dans quelle trop large mesure les résultats y sont attendus du hasard, de la simple juxtaposition des données, du groupement des matières d’après l’ordre empirique des programmes d’enseignement, lesquels déterminent à leur tour la publication des cours et fixent le moule traditionnel et classique dans lesquels viendront à être coulées trop empiriquement toutes les données.

Si le dépouillement des publications conduit à imaginer une véritable métallurgie bibliographique, si par elle on tendra à extraire le métal précieux de sa gangue inutilisable, il est un problème parallèle plus important encore : établir au jour le jour le cadre de la synthèse des faits et des idées. Ici, on touche presque aux derniers éléments de la pensée. Car la comparaison se faisant entre toutes les sciences, entre toutes leurs méthodes, tous leurs résultats, ce sont les grandes simplifications qui s’entrevoient, à la manière dont Mach à décrit le processus de la Pensée en quête d’économie, grâce aux lois qu’elle veut de plus en plus compréhensives, aux explications qu’elle échafaude valables de plus en plus de faits. C’est là un travail qu’on pourrait dire de « méta-bibliographie », tant il s’avance vers les régions transcendantes.

5. — Le Livre, moyen d’universalité, d’ubiquité, d’éternité.

Ciné, phono, radio, télé : ces instruments tenus pour les substituts du livre sont devenus en fait le livre nouveau, les œuvres au degré le plus puissant pour la diffusion de la pensée humaine.

Par radio, on ne pourra pas seulement entendre partout, mais on pourra parler de partout. Par télévision, on pourra non seulement voir ce qui se passe partout, mais chacun pourra faire voir ce qu’il voudra du point où il est. Ainsi, discours, musique, théâtre, musée, spectacle, manifestation, de son fauteuil chacun les entendra, les verra, y assistera et même pourra applaudir, ovationner, chanter en chœur, clamer ses cris de participation, ensemble, avec tous les autres.

Être partout, tout voir, tout entendre et tout connaître, mais cela n’est-ce pas la perfection et la plénitude que l’homme, en souverain hommage et souverain bien, attribua à son Dieu lui-même. Par ces instruments d’ubiquité, d’universalité et d’éternité, l’homme se sera donc rapproché de l’état de divinité, de l’état présumé être celui des élus devant Dieu, c’est-à-dire la contemplation radieuse de la Réalité Totale.

Tout cela, rien moins, plus peut-être, se trouve en puissance dans le Livre !