Page:Pérochon - Les Creux de maisons.djvu/153

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— Pas d’enfants ; quand il y en a un, il est curé, gendarme, cantonnier, que sais-je ! Pas de bras pour la terre ; alors on en fait venir d’ailleurs ; c’est simple ! Dans cinquante ans, il n’y aura plus que des Vendéens en Charente, si toutefois les Vendéens, eux aussi, ne perdent pas le truc, comme tu dis, Carijaud.

Le rire de toute la tablée ne flatta pas Lucien : il aimait qu’on appréciât la gravité de ses paroles. Il reprit, sérieux :

— Je vous disais que les Charentais travaillent moins que vous, cela se comprend : manquant de bras, ils ont acheté des machines ; personne ne fauche, personne ne se sert d’une faucille ; la moisson est deux fois moins fatigante. Vous y viendrez aussi, d’ailleurs ; il y a déjà quelques faucheuses, par ici ; dans dix ans, tout le monde s’en servira.

— Peuh ! ça fera du travail propre ! dit Séverin ; parlez-moi d’un bon ferrement et d’une faucille bien emmanchée ! qu’elles restent où elles sont, leurs machines ! C’est bon pour les fainéants. Il ne manque vraiment que cela pour que les valets ne trouvent plus à gagner leur vie !

Lucien considéra cet homme maigre dont il connaissait la vie terrible aux Pelleteries, avec les quatre petits, le cinquième tout proche et la femme au lit ; et il lui sembla personnifier la misère silencieuse, cet homme en habits terreux dont le pantalon s’effilochait aux chevilles.

Il répondit, vibrant cette fois d’une émotion sincère :

— Oui, c’est bien cela ! Vous aussi, humbles des