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Page:Pérochon - Les Creux de maisons.djvu/158

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viande, les œufs, le chocolat !… Les Chauvin et les Pitaud envoyèrent bien quelques litres de lait, mais cela n’alla pas loin. La petite continua à tousser ; elle, naguère si rose et si joufflue, devint maigre avec de petites veines bleues courant sous sa peau trop fine. Un matin, la fièvre reprit encore, et Delphine dut recoucher l’enfant. On était en mars ; c’était une journée froide et assombrie de brume. Séverin, dès l’aube, avait rejoint à Coutigny les conscrits de l’année qui l’avaient choisi pour les conduire au tirage. Il ne reviendrait sans doute que fort tard.

Delphine s’inquiétait à cause de la petite. Elle lui fit une tasse de tilleul, et l’enfant s’endormit d’un sommeil agité. Comme Marthe criait, Delphine profita de cette minute de répit pour la changer de langes et la faire téter.

À ce moment, un pas lourd s’arrêta devant la porte, puis un homme entra. C’était l’épicier Baveille, qu’on appelait encore Béguassard, parce qu’il bégayait un peu, dans la discussion surtout. Baveille était un gros homme de cinquante-cinq ans à la babine pendante et aux yeux noirs cachés sous d’épais sourcils. Il « faisait » les villages avec sa voiture cahotante et son cheval maigre. En même temps qu’il vendait du sucre et de la chandelle, il « chinait » les œufs, la guenille, la ferraille, les peaux de lapin. Il était d’une avarice sordide ; on le disait riche.

Delphine le vit entrer avec inquiétude, car elle lui devait une douzaine de francs ; depuis quelques semaines, il ne voulait plus rien donner à crédit.

— Cela va être encore des menaces, pensa-t-elle.