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Page:Pérochon - Les Creux de maisons.djvu/228

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— Enfin, c’est signe que tu n’as pas été malheureuse.

— Pas malheureuse ! Oh ! si let je ne suis pas au bout.

Elle conta sa vie. Elle avait eu deux bâtards, comme il savait sans doute. Cela lui ayant fait tort dans la région, elle avait été au loin, et elle s’était mariée dans le haut pays avec un veuf de cinquante ans qui tenait une petite borderie.

Dame ! les gens des alentours avaient ri le jour de la noce et, le soir, les gars étaient venus faire le charivari à la porte. Ce n’était pas bien gai ; mais quoi ! avec deux bâtards, elle n’avait pas le droit d’être difficile.

Elle avait eu trois autres enfants coup sur coup ; puis son homme avait été pris d’une mauvaise maladie dans les jambes, dans les reins et dans la moelle du dos. Il avait été en enfance et paralysé pendant deux ans, et il était mort en lui laissant des dettes et cinq enfants sur les bras. Depuis, elle avait tenu la terre quand même.

— Voilà sept ans que je suis seule pour faire tout, dit-elle. J’en ai arraché du travail, va ! Ces temps derniers, mes bessons m’ont aidé, mais voici qu’ils ont quinze ans, et ce sont déjà de mauvais sujets. Ils se soûlent comme des hommes et se battent. J’en ai gagé un ; l’année prochaine, je gagerai l’autre quatre jours par semaine. Ça fera de l’argent, car ils sont forts, mais ils mangeront tout. Des têtes brûlées, vois-tu…

Elle s’arrêta un moment, puis reprit en secouant ses grosses épaules :