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Page:Pérochon - Les Creux de maisons.djvu/41

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Les canes, commères goitreuses, se hâtaient avec un dandinement grotesque. Entre les vergues, sur l’eau unie et noire, les oies tard prévenues — des oies doubles, monstrueuses, collées par leur ventre blanc — venaient à toute rame, claquant du bec, le cou tendu et querelleur.

Delphine s’amusait de la gourmandise de ses bêtes ; elle avait ses préférées ; elle trompait les autres par des feintes, les éloignant d’un geste généreux de sa main vide et laissant tomber à ses pieds un gros paquet de pâture.

Haute et mince et ronde de poitrine, avec sa peau fraîche de blonde et ses yeux transparents comme l’eau des belles éclusées, elle résumait la douceur claire du jour finissant. Elle était la meunière, la jolie meunière des refrains de ronde, la fille leste et malicieuse qui chante — ô gué ! — près des eaux frétillantes.

— Comme tu reviens tôt ! dit-elle ; n’as-tu donc pas fait la tournée des Marandières ?

— Si ! les Marandières, Jolimont, la Grange-Neuve, les Pelleteries ; mais les routes sont belles, et j’ai trotté.

— Ah ! tu es allé aux Pelleteries ; tu as vu les Larin, alors, et leur chambrière… Une belle fille, dis ? et pas fière !

Séverin s’emporta contre le mulet ; son poing heurta la grelottière ; il ne répondit pas.

Depuis le soir de son retour, il était très réservé avec Delphine. Il s’était dit qu’il ne pouvait rien y avoir entre cette fille du meunier et un gars comme lui. De mauvais bruits circulaient bien sur les Bernou ; on parlait de pertes d’argent, de dettes accumulées ; mais