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Page:Pérochon - Les Creux de maisons.djvu/74

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Elle répondit d’un air tranquille de vierge instruite et sensée :

— Ce qu’elle est devenue ? Rien de bon. Il lui est arrivé ce qu’elle cherchait, pardi !

— Elle a un drôle ?

— Non pas un, mais deux, deux bessons qui sont nés vers le mardi gras. Le plus beau, c’est qu’elle n’en connaît pas au juste le père. Elle s’en moque, du reste ; une vraie honte ! Oh ! cela m’a beaucoup chagrinée, qu’elle eût été ta bonne amie.

— Tais-toi, Delphine, tu ne sais pas ce que tu dis. La vraie vérité, c’est que je t’ai toujours eue dans l’idée depuis mon retour du service. J’avais été hardi le premier soir, t’en souviens-tu ?

— Oh ! oui ! dit-elle en riant ; mais après ?

— Après ? dame, je n’osais pas. J’ai cherché du pain, moi, ça ne s’oublie pas, cela ; ton père n’aurait jamais voulu. Et puis je te croyais riche et tu es si jolie ! Je me sentais honteux et je ne disais rien. Ça m’a travaillé, va ! D’abord, j’ai cru que je t’oublierais ; j’ai essayé de m’amuser avec les autres : ça n’a pas passé. Alors, je m’en suis allé au loin, et ma peine m’a suivi. Quand j’ai appris ton malheur là-bas, quand j’ai su. que tout avait été vendu chez toi et que tu étais servante, je me suis dit : Peut-être bien maintenant qu’elle voudrait de moi tout de même ; et je suis allé à la foire dernière pour te parler. Si je ne t’avais pas trouvée, je serais revenu par ici à la Toussaint, et même plus tôt, parce que cela me tourmentait trop de te revoir, ces temps derniers. Oh ! oui ! bien sûr, je serais revenu !…