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Page:Pérochon - Les Gardiennes (1924).djvu/19

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LES GARDIENNES

dant, dominaient au fond de sa conscience, fortes et sûres comme l’instinct. D’abord, il lui semblait juste de durement peiner parce que les autres souffraient et que le travail est frère de la souffrance ; mais surtout, les hommes s’acharnant aux œuvres de destruction et de mort, la tâche première des femmes, qui est de conservation, lui apparaissait confusément avec son importance essentielle. Jeunes ou vicilles, les femmes étaient les gardiennes ; gardiennes du foyer, gardiennes des maisons, de la terre, des richesses, gardiennes de ce qui avait été amassé par le patient effort des âges pour faciliter la vie de la race, mais aussi gardiennes des ordinaires vertus et gardiennes de ce qui pouvait sembler futile et superflu, de tout ce qui faisait l’air du pays léger à respirer, gardiennes de douceur et de fragile beauté.

La Misangère songeait, la figure levée vers le bleu du ciel. Le vent de mer devait passer avec force dans les hauteurs de l’air, car on y voyait de longs nuages dont les franges s’étiraient avant de s’emmêler ou de disparaître. C’était dans la direction de la fuite des nuages que les hommes combattaient. N’ayant jamais voyagé, la Misangère ne se faisait qu’une idée assez vague de la distance ; elle savait seulement que l’effroyable tumulte du combat ne pouvait venir jusqu’à elle. Cependant elle tendait l’oreille, accueillait les bruits errants et il lui semblait qu’une immense et terrible rumeur circulait à l’horizon d’est où se massaient les nuées.

Un pas lourd se fit entendre sur la route : quel-