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Page:Pérochon - Les Hommes frénétiques, 1925.djvu/16

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LES HOMMES FRÉNÉTIQUES

Il parlait d’une voix joyeuse et sonore. Soudain, il se tut et s’immobilisa, l’air confus.

Alors, dans le silence tombé, une voix douce et grave se fit entendre :

— Mes fils, jouez !

Harrisson s’avança vers le devant de la terrasse où un vieillard reposait sur un fauteuil de forme ancienne.

— Maître ! murmura-t-il, je suis honteux d’avoir interrompu votre sommeil par ces gamineries bruyantes et stupides !

Une puissante tête blanche se détacha du haut dossier, une belle tête de patriarche aux yeux pleins d’une douceur infinie.

— Jouez, jeunes gens ! Toi, Luc, grand aîné au cerveau de lumière, toi, petit Samuel au rire étincelant, jouez sans contrainte !… Le spectacle de votre gaieté est doux à mes yeux affaiblis.

— Mais vous dormiez, maître, et nous vous avons réveillé !…

— Je dormais ?… vous m’avez réveillé ?… Cela est bien incertain !… Il n’est plus, pour moi, qu’incertitude… Le sommeil… la vie… la mort… Tout se mêle… Mais la gaieté est chose sûre et bonne… Je comprends votre gaieté… J’aime votre gaieté.

La voix devint plus douce encore, plus voilée, plus lointaine.

— Je crois avoir pensé… oui, pensé clairement… pendant ma longue vie orgueilleuse… Cent ans, bientôt !… cent ans qui passèrent comme une eau courante… comme le vent… Je disais : ceci est le vrai, cela est le faux ! Voici le juste et l’injuste !… Je pesais à poids exacts avec une dure loyauté… Mais le soir est venu… Tout s’efface, tout s’étale… Mon âme ne distingue plus sûrement la clarté de l’ombre… Mon âme est blanche et lisse… Voici le soir, miraculeux et doux… Voici le songe !…