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Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/135

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vantage quand je t’aurai porté le coup le plus terrible. Eh bien ! cette femme dont tu chantes les louanges, à qui tu prétends tout devoir, c’est elle qui t’a tué.

Pétrarque. Bon Dieu ! comment me persuadera-t-on cela ?

S. Augustin. Elle a éloigné ton âme de l’amour des choses célestes, et elle a reporté tes désirs du Créateur sur la créature. Cette voie conduit directement à la mort.

Pétrarque. Veuillez, je vous prie, ne point précipiter votre jugement. L’amour que j’ai pour elle m’a certainement porté à aimer Dieu.

S. Augustin. Mais il a interverti l’ordre.

Pétrarque. Comment cela ?

S. Augustin. Parce qu’on doit aimer toutes les créatures par amour du Créateur, et que toi, au contraire, épris des charmes de la créature, tu n’as point aimé le Créateur comme il convient. Tu as admiré l’artisan comme s’il n’avait rien créé de plus beau, quoique la beauté du corps soit la dernière de toutes.

Pétrarque. J’atteste la Vérité, ici présente, et je prends à témoin ma conscience que (comme je l’ai déjà dit plus haut) j’ai moins aimé son corps que son âme. La preuve, c’est que plus elle a avancé en âge (ce qui est pour la beauté du corps un coup de foudre inévitable), plus j’ai persévéré dans mon opinion ; car, quoique la fleur de sa jeunesse pâlit visiblement avec le temps, la beauté de son âme croissait avec les années, et de même qu’elle fit naître mon