Page:Palante - Précis de sociologie, 1901.djvu/133

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une sorte de « kakodicée » ou justification du mal dans l’existence des sociétés. « Faust, dit ce philosophe, appelle du nom de Méphistophélès cette puissance qui éternellement veut le mal et qui éternellement engendre le Bien. Gœthe a trouvé en cet endroit la meilleure expression pour rendre le rôle de ce « Diable absurde » dont parle la légende allemande, qui est toujours déçu par les buts qu’il se propose et dont les efforts aboutissent au contraire de ce qu’il a voulu. Chaque volonté perverse individuelle doit aussi être regardée comme une partie de cette Puissance qui éternellement veut le Mal et perpétuellement engendre le Bien. »

« La volonté perverse ne joue pas dans l’univers un rôle purement négatif ; elle n’est pas un accident qu’il faille éliminer. Mais elle est quelque chose de positif et représente un facteur essentiel du procès téléologique inconscient…

» Pour celui qui est habitué à ce point de vue d’une téléologie inconsciente, d’après les conceptions de Schelling et d’Hegel, pour celui-là il est indubitable que les conséquences utiles indirectes du Mal ne sont qu’un cas particulier de la loi historique générale qui veut que les hommes sachent rarement et obscurément les buts auxquels ils tendent et que ces buts se transforment dans leurs mains en fins toutes différentes. Cela peut être appelé l’Ironie de la nature et n’est qu’une suite des ruses de l’Idée inconsciente[1]… »

Ce langage exprime métaphysiquement cette vérité de fait que la lutte qu’un optimisme superficiel voudrait supprimer, est un facteur éternel et utile, au point de vue vital, de l’évolution sociale. Lutte des individus entre eux, lutte des groupes entre eux, lutte de l’Individu contre le groupe et du groupe contre l’individu,

  1. E. von Hartmann, Das sittliche Bewusstsein (Leipzig, Haacke), p. 589.