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Page:Paquin, Huot, Féron, Larivière - La digue dorée, 1927.djvu/19

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LE ROMAN DES QUATRE

toucher légèrement le bras et entendit ces paroles chuchotées d’une voix blanche :

— Ne craignez rien, mais espérez… une joie infinie vous attend !

Elle se tourna brusquement et voulut courir après l’inconnu, l’homme vêtu en lumberjack qui avait prononcé ces paroles.

Mais il était déjà sorti de la gare, et elle l’entendit qui disait à un chauffeur de taxi « Black & White » :

— Au Château Frontenac… et presto !

— Où ai-je entendu cette voix ? murmura-t-elle…


II


— Elzébert, as-tu trouvé quelque chose ?

— Non. Et toi, Paul ?

— Moi, non plus.

Elzébert Mouton et Paul Durand étaient assis dans un petit compartiment d’une taverne de la rue Saint-Laurent à Montréal.

Ils causaient de la disparition mystérieuse de Germain Lafond, le fiancé de Jeannette Chevrier.

Ils étaient maintenant tous deux d’accord sur un point : Germain Lafond avait été la malheureuse victime de criminels inconnus.

— Écoute, Paul, il nous faut continuer nos recherches. Je veux absolument et tu le veux avec non moins de persistance que nous retracions l’homme que nous avons entrevu dans les alentours de la scène du crime, et qui nous a paru très suspect. Nous allons lui mettre la main au collet avec un peu de persévérance.

— Quel est ton plan, Elzébert ?

— Mon plan est bien simple : le retrouver et le faire parler.

— C’est beau, ça ; mais comment lui desceller la langue ?

— À la pointe du revolver, mon vieux ; deux gars bien décidés peuvent tout.

Elzébert s’appuya le menton dans le creux de sa main et songea pendant quelques instants.

Puis :

— Nous n’avons encore réfléchi ni l’un ni l’autre à la cause qui a pu pousser le criminel inconnu à se défaire de Germain Lafond. Eh bien ! pendant les quelques secondes que je viens de songer, je crois avoir découvert cette cause.

Paul Durand s’approcha davantage, semblant profondément intéressé.

Elzébert continua :

— Te rappelles-tu qu’il y a quelques mois, Germain Lafond disparut mystérieusement pendant une quinzaine de jours ?

Paul Durand fit signe qu’il s’en souvenait fort bien.

— Il nous dit qu’il arrivait de l’Abitibi. Dans le temps c’était la première grande course aux mines d’or dans la région de Rouyn. On était fou, enivré d’espérance. Je lui demandai en riant s’il avait découvert une mine d’or. Il me répondit non, mais je soupçonnai dans son regard fuyant quelque chose d’anormal.

— Alors, maintenant, Elzébert, tu crois que Germain avait découvert une mine d’or dans l’Abitibi ?

— Non seulement je le crois, mais j’en suis absolument sûr.

— Et sur quoi bases-tu ta conviction ?

— Sur le fait brutal qu’il a été assassiné. Voyons, raisonnons un peu. On ne tue pas un homme sans raison. On ne tue pas un pauvre…

— Il aurait pu avoir des ennemis.

— C’est vrai, il aurait pu en avoir. Mais lui en connais-tu ? C’était le meilleur garçon du monde. Non, si on l’a tué, c’était pour son or.

— Mais son or est dans sa mine ; car je ne sache pas qu’il nous ait quittés après avoir exploité le gisement aurifère. Alors à quoi l’assassinat de Germain servirait-il au meurtrier ? La mine retourne à ses héritiers, voilà tout.

Elzébert Mouton avait l’habitude de se décrotter les oreilles, quand il était perplexe. Il se les décrotta.

Le raisonnement de son ami Durand l’embêtait.

Il songea, réfléchit.

Puis, triomphalement :

— J’ai trouvé une explication à ton objection, dit-il. Supposons que Germain ait eu un associé dans son aventure minière de l’Abitibi. Supposons que cet associé soit un individu louche, aux intentions criminelles. Il vit l’or, vit la fortune, vit les millions et vit surtout la part à donner à l’autre, à Germain. Alors, supposons…

— Supposons ! Supposons ! Cela fait bien des suppositions, mon vieil Elzébert.

Et Paul Durand éclata d’un rire interminable.