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Page:Paquin, Huot, Féron, Larivière - La digue dorée, 1927.djvu/46

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LE ROMAN DES QUATRE

retenu une fois encore mais cette fois par le bruit d’une main qui frappait à sa porte.

Il s’arrêta indécis et curieux.

— Ce sont les amis que j’attends ! expliqua avec un sourire candide M. Morin.

Il alla ouvrir la porte.

Deux autres personnages inconnus d’Elzébert entrèrent. Ces deux hommes serrèrent la main offerte de M. Morin qui les présenta ainsi :

— Mon cher Monsieur Lafond, voici mon ami Monsieur Bourgier, capitaliste… Mon autre ami, Monsieur Rinfret, banquier…

Elzébert se laissa serrer la « patte », mais il ne manqua pas non plus de serrer de sa poigne de bûcheron et de chasseur, tout en s’inclinant profondément devant ces beaux et imposants messieurs.

— Mes amis, disait déjà Henri Morin, Monsieur Germain Lafond, comme je vous l’ai dit, est ingénieur du Gouvernement Fédéral…

— Oh ! nous connaissons de réputation Monsieur Germain Lafond, firent avec un sourire charmant les deux inconnus.

Elzébert s’inclina de nouveau et proposa rondement et sans façon :

— Mes amis, si nous prenions un petit coup, avant d’entamer les affaires ?…

— Assurément, assurément, dit suavement M. Morin, en clignant de l’œil à ses amis. Allez ! mon ami, allez ! ajouta-t-il.

De fait, on trinqua comme de vieilles connaissances. On fit quelques histoires, et Elzébert lui-même ne manqua pas de certaines lourdes plaisanteries dont parurent s’amuser beaucoup ses visiteurs. Puis, brusquement, M. Morin, redevenu sérieux et grave, commença :

— Monsieur Lafond, vous êtes propriétaire d’une mine d’or située dans l’Abitibi, si je ne me trompe pas ?

— Parfaitement ! répondit encore sans sourciller Elzébert, qui de mieux en mieux entrait dans un rôle dont il aurait redouté les conséquences, s’il eût été sobre et d’esprit libre.

— J’en étais si sûr, reprit M. Morin, que j’ai fait faire un relevé par écrit de votre « claim », dont voici le titre dactylographié…

Il fit voir un document à Elzébert qui, la vue très voilée par les fumées de l’eau-de-vie, ne vit rien autre que des caractères de dactylotype.

— Nous irons droit au but, poursuivit M. Morin : nous sommes venus, ces messieurs et moi, pour acheter votre mine d’or. Combien en voulez-vous ?

Cette fois Elzébert eut bien envie d’éclater de rire. Voici maintenant qu’on voulait lui acheter une mine qu’il ne possédait pas !

— Bah ! se dit-il, voyons toujours jusqu’où la farce peut aller !

— Monsieur Morin, répliqua-t-il la voix quelque peu avinée, je n’ai pas eu encore l’opportunité de faire faire l’évaluation de mon claim.

— N’importe ! selon votre idée, à combien l’évaluez-vous ? Si votre chiffre nous convient, nous paierons ; s’il est trop élevé, nous discuterons. Voyons…

— Dame ! fit Elzébert en se grattant les oreilles activement, je ne sais pas au juste… Voyez-vous je ne voudrais pas voler personne… Tout de même, selon ma grande foi du bon Dieu, je pense bien que ça vaut, comme c’est là à cette heure, cent mille bonnes piastres !

Cent mille dollars ! fit un peu surpris, le banquier, M. Rinfret. En même temps il cligna de l’œil au capitaliste, M. Bourgier.

M. Morin regarda ses amis et sourit.

Elzébert, qui n’observait pas les manèges de ses visiteurs, avait pris un air de « c’est à prendre ou à laisser », et avait allumé un cigare, oubliant que la courtoisie lui commandait d’en offrir à son monde.

— Monsieur Lafond, reprit M. Morin, je vais vous faire une proposition bien sincère et juste : nous allons vous offrir $75,000. dont $25,000. comptant, c’est-à-dire lorsque tous les papiers auront été faits et signés, puis vingt-cinq mille piastres dans six mois à compter de la signature des papiers, et, enfin, vingt-cinq mille dollars dans un an. Est-ce que cette proposition vous agrée ?

— Mais oui, mais oui, s’empressa d’accepter Elzébert enivré non seulement de cognac, mais aussi par la vision de ces milliers de dollars qui venaient, si harmonieusement s’ajouter à ceux qu’il possédait déjà. Mais oui, j’accepte, puisque vous pensez que c’est honnête et juste !

Il allait offrir un nouveau verre d’eau-de-vie pour arroser dignement ce marché, lorsque les trois visiteurs se levèrent subitement.

— C’est entendu, dit M. Morin. Si vous le voulez, nous signerons les actes vers les onze heures. Voulez-vous nous laisser voir le