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Page:Paquin, Huot, Féron, Larivière - La digue dorée, 1927.djvu/49

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LE ROMAN DES QUATRE

— Je dis que je suis Germain Lafond ; mais je dis aussi que vous êtes celui qui…

Il fut interrompu par un rire énorme, rire lancé par Morin. Et celui-ci, désignant Elzébert Mouton debout dans sa porte, titubant, ébahi, déclara :

Voici Germain Lafond ! Et vous, vous êtes un imposteur ! Agents ! commanda-t-il en se tournant vers le pseudo-capitaliste et pseudo-banquier, arrêtez cet homme.

Et Morin jeta violemment Lafond dans les bras des deux agents de police, ajoutant :

Cet homme, qui dit s’appeler Lafond, c’est un voleur, c’est un meurtrier… cet homme, acheva Morin avec un geste farouche, se nomme Pierre Landry !

Alors, Elzébert à demi fou, voulut crier.

— Mais non, mais non ! monsieur Morin… vous faites erreur ! Je suis bien Elzébert Mouton, mais lui, ce pauvre jeune homme que vous faites arrêter, c’est mon ami, c’est le fiancé de Jeannette… c’est bien Germain Lafond… le vrai Germain Lafond !…

— Mais Morin se mit à rire bénévolement.

— Vous êtes soûl, mon cher Lafond, dit-il à Elzébert… vous faites mieux d’aller vous coucher !

Et se tournant vers les deux agents :

Emmenez cet homme ! commanda-t-il. Conduisez-le aux quartiers-généraux de la police !

L’ingénieur voulut se débattre, résister.

— C’est une infamie… je ne suis pas Landry, mais Germain Lafond…

Mais les deux agents, qui étaient de solides gaillards, l’emmenèrent rapidement vers l’ascenseur. Henri Morin, alors, se baissait, soulevait Jeannette évanouie, et l’emportait dans une chambre voisine.

Alors aussi, Elzébert bondit, se rua dans le corridor, dépassa Lafond et les deux agents, dégringola l’escalier comme un insensé et courut vers la sortie de l’hôtel.

Elzébert, frotta ses yeux ébaubis, regarda l’homme et bredouilla :

— Non… ce n’est pas possible ! Paul… Paul Durand !

— Allons, imbécile !… éclata de rire Durand. Où vas-tu ainsi sans chapeau, sans veston…

— Où je vais ? fit Elzébert, le regard égaré, la figure livide. Je sais bien que je ne vais pas en Paradis… peut-être m’en vais-je chez le diable… que sais-je ?

Il frappa son front durement, puis prit son élan pour se ruer vers la porte de sortie.

Paul Durand le saisit à la gorge et le renversa sur la banquette.

— Va-t-il falloir que je t’étouffe pour te faire entendre raison, Elzébert ?

Le pauvre Elzébert crut sa dernière heure venue… il battit des paupières et s’évanouit tout doucement dans les bras de son ami retrouvé.

Mais lui, Durand, en voyant tout à coup paraître l’ingénieur, Germain Lafond, prisonnier des deux agents de police, échappa le corps d’Elzébert qui alla rouler sur les dalles. Puis il se mit à considérer, avec la plus grande stupéfaction, le prisonnier qui ne cessait de se débattre entre ses deux gardes du corps.

— Ah ! bien, par exemple, murmura-t-il, il n’y a pas qu’Elzébert qui soit fou, je le suis aussi !

— Hein ! fit tout à coup une voix gouailleuse à son oreille. Flûte, Durand !… Flûte !…

Paul tourna rapidement la tête, et vit disparaître par la porte de l’hôtel l’étrange et narquois Philéas.

Il jura, ébaucha un geste de colère et de menace, et courut au prisonnier.

— Monsieur Lafond, prononça-t-il sur un ton résolu, soyez tranquille, nous vous tirerons de là. J’ai ici un frère, qui est avocat, et il ne sera pas long que l’affaire va s’expliquer.

Le jeune homme, comme s’il eût honte de son emportement, ébaucha un large sourire et dit :

— Occupe-toi d’abord, mon vieux, de ce pauvre Elzébert. Tâche ensuite de sauver Jeannette des mains de ce bandit qui se fait appeler Henri Morin. Cela fait, expédie un message télégraphique à Ottawa, afin qu’on envoie sans tarder deux de mes camarades pour m’identifier. Après, je le jure, j’aurai ce maudit Landry.

— On l’aura… fit seulement Durand en crispant les poings !…


Fin de la troisième partie.