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Page:Paquin, Huot, Féron, Larivière - La digue dorée, 1927.djvu/53

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LE ROMAN DES QUATRE

mait mordicus avoir bien et dûment reconnu son ami Lafond dans le personnage que l’on avait arrêté. Interrogé sur le but de son voyage à Québec, il racontait comment, en apprenant l’arrestation de Durand, arrestation qui confirmait la mort de Lafond, il avait eu l’audace de demander la main de Jeannette Chevrier. La fiancée de son ancien ami n’avait pas dit non ; mais elle avait promis donner sa réponse à Québec, où ils avaient pris rendez-vous pour le lendemain, au Château Frontenac.

C’est cette partie de l’interview de Mouton qui, colportée de journal en journal, amplifiée à chaque nouvelle insertion, a provoqué l’article libelleux du « New-York Gazette » ; mais comme aucun de nos journaux ne s’est fait l’écho de ce champion du jaunisme, inutile de parler de ce malheureux incident.

Durand s’était montré plus loquace que son compagnon, il avait fait un récit très circonstancié des divers événements qui s’étaient produits depuis sa première visite à la maison de la rue Mignonne, il avait narré en détail l’enlèvement de l’orpheline, sa délivrance, sa propre arrestation, les menaces qu’on lui avait faites ainsi qu’à son ami Mouton, sa mise en liberté sans avoir même eu à comparaître devant un magistrat, son arrivée au Château Frontenac juste au moment où Germain Lafond en sortait escorté de deux policiers, les deux mêmes qui l’avaient arrêté lui-même.

Sur la demande d’un reporter de produire les lettres de menace reçues, Durand s’était empressé de les chercher, mais en vain, toutes étaient disparues, et cependant, il était bien positif de les avoir mises en sûreté dans son portefeuille.

Jeannette n’avait pu être interviewée que le lendemain matin, à sa demeure de la rue Mignonne, où un taxi Diamont venait de la débarquer. Elle était encore très nerveuse et lasse. Elle racontait qu’en s’éveillant de son évanouissement, elle s’était trouvée confortablement installée dans une chambre luxueusement meublée du Château Frontenac. Près de son lit veillaient une garde-malade et un médecin. Elle voulut parler ; mais la garde s’interposa :

— Ne vous fatiguez pas, Mademoiselle, essayez de dormir, il vous faut une bonne heure de repos et ça n’y paraîtra plus.

— Mais enfin, je voudrais savoir ?

— Plus tard, dit le médecin, pour le moment, il faut vous reposer.

Devant cette volonté bien arrêtée, elle s’était soumise à l’attente, avait tourné la tête du côté du mur et avait feint le sommeil ; mais au bout d’une demi-heure à peu près, elle avait entendu un bruit de pas dans la chambre voisine, une porte s’était ouverte et une voix avait chuchoté : « Docteur ! » Et cette voix qui n’était ni celle de Germain Lafond, ni celle de celui qui avait ordonné l’arrestation de son fiancé, lui était cependant connue…

— Comment va-t-elle, Docteur ?

— Très bien, elle repose.

— Sera-t-elle en état de prendre le bateau ce soir ?

— Mais certainement, mon ami, certainement.

— J’en suis heureux, car je dois partir immédiatement et j’aurais été inquiet. Voulez-vous lui remettre cette enveloppe quand elle sera réveillée ?

Cette voix ! Mais oui, c’était celle du mystérieux personnage qui depuis plusieurs mois semblait s’être donné pour mission de veiller sur elle. Cette enveloppe ! comme elle était anxieuse d’en connaître le contenu. Mais le médecin se penchait vers elle, prenait sa main : « La pulsation est normale, la respiration est bonne, quand elle s’éveillera, nous pourrons la quitter. Je puis m’en aller à mon tour, à son réveil, voulez-vous avoir la bonté de lui remettre cette enveloppe ? »

Inutile de dire qu’aussitôt le praticien sorti de la chambre, l’orpheline avait ouvert les yeux.

— Bien ! cela va mieux, maintenant, n’est-ce pas ?

— Très bien, garde, je vous remercie de vos bons soins.

— Je vous quitte, vous pourrez vous lever quand vous le désirerez. Tenez, voici une lettre que l’on m’a priée de vous remettre.

— Merci, Mademoiselle. Je prendrai probablement le bateau de ce soir pour Montréal, je voudrais vous revoir avant mon départ.

— Je reviendrai, Mademoiselle. Au revoir, alors.

Dès qu’elle avait été seule, Jeannette avait ouvert l’enveloppe. Elle ne contenait qu’une petite feuille de carnet avec ces mots écrits au dactylographe : « Ayez