Aller au contenu

Page:Paquin - Œil pour œil, 1931.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
ŒIL POUR ŒIL

plaisir qu’il ressentait d’être ce soir, l’élu de ce cœur féminin.

L’orchestre fit entendre les premiers accords d’une valse. Von Buelow en s’excusant quitta le groupe où il causait et marcha droit vers Natalie.

— Mademoiselle, je serais heureux que vous m’accordiez cette danse.

— Vous arrivez un peu tard. J’ai déjà promis au capitaine Rhulman.

— Alors, mille regrets.

Il s’éloigna. Avisant, une jeune dame qu’il connaissait, il fut plus heureux cette fois-ci. Il l’enlaça et évolua avec elle aux accords des violons qui pleuraient de langueur et d’amour.

Habilement, et sans que sa partenaire ne s’en doutât, il manœuvrait pour se rapprocher de Natalie et du capitaine. Quelques couples les séparaient encore. Il les contourna et quand il fut tout près, il envoya, d’un mouvement brusque du coude, son sabre en arrière. Le fourreau frappa Rhulman aux jambes, qui faillit tomber devant cet obstacle inopiné.

Herman von Buelow jeta un regard indifférent, et sans plus s’occuper de l’incident, continua à valser.

Ce qu’il désirait se produisit. La danse terminée, il se retira au fumoir, s’installa dans l’un des fauteuils en cuir de Cordoue qui le garnissait, et nonchalamment, alluma un cigare.

Il y avait juste suffisamment de monde, pour permettre à son projet de réussir, et pas assez pour qu’il dégénérât en scandale. Il sourit imperceptiblement en apercevant Rhulman, sur le seuil de la porte, inspecter la pièce du regard, comme s’il cherchait quelqu’un pour finalement se diriger vers lui.

— J’espère colonel que vous vous excuserez de votre maladresse de tantôt.

— Je n’ai aucune excuse à vous offrir. Je vous prierais même de retirer cette expression que vous venez d’employer : maladresse… La maladresse est plutôt de votre part puisque vous êtes venu vous jeter sur mon sabre.

Il continua, persifleur jusqu’à ce que son interlocuteur se fâchant, lui dise les paroles qu’il voulait lui voir dire et qui pouvait constituer une insulte.

Tranquillement, posément, il déboutonna l’un de ses gants, l’enleva, et en souffleta le capitaine.

Le duel était inévitable.

Deux personnes étaient témoins de l’affront, et un officier de l’armée, sans passer pour un lâche ne peut se dérober aux réparations d’honneur. Or von Buelow passait pour la plus fine lame de Leuberg et tirait du pistolet presqu’aussi bien. Il savait donc que la perspective d’un duel avec lui était suffisante pour figer le sourire sur les lèvres et abréger une soirée qui ne présentait plus d’intérêt. C’était créer le vide autour de Natalie.

L’habitude des décisions rapides lui avait dicté ce plan de campagne, un peu fou, un peu téméraire. C’est probablement à cause de sa témérité qu’il l’avait adopté tout de suite.

— Colonel, lui dit Rhulman, vous recevrez mes témoins demain matin.

— À vos ordres.

Il fit volte-face et retourna dans le salon, où le bal continuait.

Rhulman ayant perdu tout entrain, ne se sentant plus d’humeur à s’amuser, commanda sa voiture et se retira chez lui.

— Et d’un, songea von Buelow.

Il chercha Natalie. L’ayant aperçue, il la rejoignit.

— Avez-vous vu le capitaine Rhulman, s’enquit-elle. Il est passé au fumoir pour vous rencontrer, il y a quelques minutes. On ne le revoit plus depuis ce temps.

— Le capitaine est indisposé. Il a dû retourner chez lui.

Comme il parlait, un autre des jeunes gens qui faisaient cercle autour de la jeune fille s’approcha d’elle, et lui demanda la prochaine danse.

Elle la lui accorda.

— Il me semblait que vous aviez promis de la danser avec moi.

— Vous ne me l’avez pas demandé.

— Vous avez dû l’oublier.

Le nouveau venu s’impatientait, l’or-