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Page:Paquin - Œil pour œil, 1931.djvu/40

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ŒIL POUR ŒIL

prit-elle, dans son regard, le feu du désir ? Elle n’en parla pas, mais un soir demanda à Herman pourquoi, il invitait chez lui si souvent, le chef du parti adversaire. Il sourit.

— Par diplomatie. C’est un homme important, considérable. Il est mieux de s’en faire un ami qu’un ennemi.

— Tu en aurais peur ?

— Moi ?…

Il la regarda surpris…

— Tu crois que j’en aurais peur ?…

— Je ne sais pas… moi… j’en ai peur… terriblement peur… Tu ne sais pas comme je suis mal à l’aise quand il est là… quand il me regarde, avec ses yeux qui semblent fouiller toutes mes pensées…

Il se contenta de sourire. L’incident fut clos… Le ménage von Buelow et Luther Howinstein continuèrent de se fréquenter…

Les affaires politiques commençaient de se gâcher. Le cabinet, composé d’hommes trop peu énergiques, laissaient s’accomplir, un peu partout, des manifestations populaires qui décelaient un état d’esprit dangereux …

Il fallait avant qu’il ne fût trop tard, réprimer ces manifestations populaires. Jusqu’ici, elles ne présentaient aucun danger, mais pour von Buelow que ses agents renseignaient, et qui était le chef véritable de la droite, elles signifiaient le prélude d’un renouveau d’effervescence.

L’exemple des Soviets de Russie agissait sur le peuple. D’aucuns prônaient dans les journaux que ce n’étaient pas la peine de s’être débarrassé de la royauté, d’avoir enduré six mois d’un régime de terreur, si l’on s’en tenait aux mêmes conditions sociales d’auparavant. Ils soutenaient que rien n’était changé dans le pays, que le sang versé n’avait produit aucun résultat, et qu’il fallait adopter un « modus vivendi » nouveau…

Von Buelow voulut prévenir la répétition des troubles de jadis, d’autant plus qu’à l’horizon, une menace de guerre grossissait, qui bientôt assombrirait le ciel politique. À son tour, il manœuvra dans le silence et l’ombre, se choisit des créatures fidèles et dévouées et décida, en lui-même, qu’à la première occasion le coup d’état qui le rendra lui, maître effectif des destinées de son peuple s’accomplira. Dorénavant, il partagea son temps entre son foyer et ses activités politiques.

Il commença même une série d’assemblées publiques, où il prêcha la doctrine d’un patriotisme intégral basé sur la prospérité du pays. Pour cela, il fallait ne pas prêter l’oreille à la propagande venue du dehors ; il fallait avoir confiance aux chefs d’aujourd’hui.

En peu de temps, il devint l’idole du peuple, de ce peuple volage qui partage, telle une courtisane, ses faveurs entre les puissants. Une tentative manquée d’assassiner contre sa personne, lui redonna un regain de popularité.

Natalie tout en s’inquiétant sur son sort, l’admirait profondément. Bien que mère d’un joli bambin, elle continuait d’être à la fois l’amante et l’épouse. Son calme devant les dangers, lui faisait peur toutefois. Elle lui savait quelques ennemis. Il les bravait trop.

Un jour qu’il était au dehors parti depuis la veille en mission politique secrète dans une petite ville à quelque cent milles de Leuberg, elle vit un auto stopper devant la porte du château…

Un homme en descendit qui demanda à lui être introduit.

Il était porteur d’une lettre signée de Luther Howinstein.

Frémissante, tremblante, pressentant un malheur, une catastrophe imminente, elle la décacheta et lut ce qu’il y avait à son adresse.

Instinctivement Howinstein lui causait un sentiment de crainte et de terreur. Elle avait l’intuition qu’il lui voulait du mal, à elle et aux siens, que cet homme était son mauvais génie, qu’il semblait attaché à ses pas pour la perdre.

« Madame, disait le billet, la profonde amitié qui me lie à Monsieur votre époux, malgré nos divergences politiques me dicte cette démarche qui vous paraîtra étrange. Votre mari est me-