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Page:Parigot - Alexandre Dumas père, 1902.djvu/159

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LE CONTEUR.

la bure ou l’habit, il se donne libre carrière. Le cadre de l’histoire contenait cette exubérance de personnalité. De ses romans et contes, il est proprement l’âme, travaillé d’un incroyable besoin de se répandre. En ce sens, il écrit tous ses romans lui-même, étant lui-même en tous. Et il est aussi la cause de l’illusion saisissante qui émane des plus hâtivement brochés. Aussi bien, il avait raison de répondre au magistrat goguenard de Bourg-en-Bresse qui lui dit : « Alors, c’est un roman que vous allez faire vous-même ? — Eh oui, Monsieur, j’avais fait faire le dernier par mon valet de chambre ; mais, comme il a eu un grand succès, le drôle m’a demandé des gages si exorbitants, qu’à mon grand regret je n’ai pu le garder. »

Il se raconte par une insensible fiction, par une naturelle fonction. Ce besoin de vivre et d’imaginer se double d’un besoin, plus invincible encore, de confondre l’imagination et la vie. Si cette confusion fait parfois la puérilité de ses contes, elle en est aussi le charme simple au regard des esprits simples. Tout ce qui touche à lui est matière de roman : la phtisie qu’il observa sur une de ses parentes (Amaury) ; les deux curés qui commencèrent son instruction (Ange Pitou) ; le terrible chien Mouton (le Bâtard de Mauléon), qui veille au seuil du livre à peine commencé comme Cerbère à l’entrée du Tartare ; et ses premières amours (Testament de M. Chauvelin) ; et lui-même enfin qui apparaît joyeux dans un restaurant de nuit, athlète et poète, au début des Mohicans de Paris. Comme aussi les vastes horizons ne l’effrayent point, on