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Page:Parigot - Alexandre Dumas père, 1902.djvu/19

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L’HOMME ET SON TEMPS.

sur les champs de bataille de l’Europe, et la liberté, chèrement conquise, s’évanouissait dans un rêve magnifique de gloire et de folie. À présent, un capitaine dominait le monde, courbait les rois, écrasait les couronnes sous sa loi d’airain. De l’air qu’il respirait, la France emplissait ses poumons ; de ses desseins grandioses, de ses coups surprenants, l’âme nationale s’enivrait. La splendeur de l’Énergie éblouit les yeux ; les songes des enfants sont traversés de chevauchées lointaines, de bataillons aux innombrables pointes d’acier, de batailles, charges, assauts mémorables, dans un décor de mosquées et de pyramides, de burgs, de kremlins et de minarets ; les richesses de l’Occident le disputent au luxe de l’Orient, et, en haut, tout en haut de l’horizon fantasmagorique, en avant de l’escorte des généraux chamarrés d’or, se profilent sur un cheval alezan la redingote grise et le petit chapeau, symboles de cette audace française qui, soutenue par le génie, étonne et maîtrise les nations.

Puis, ce sont les Cent-Jours ; puis, la vision de la chaise de poste traversant Villers-Cotterets au galop des chevaux qui emportent à toute bride le grand jouteur à Waterloo ; et puis, la défaite, la mort du conquérant sur son rocher, la banqueroute des ambitions, mais non pas de l’imagination déchaînée. Lui mort, sa légende monte du fond de la foule. Ceux qui l’avaient suivi à travers l’Europe, rentrèrent sous leur toit, déposèrent leur sabre, et narrèrent ses exploits. Sa figure grandit de tout l’enthousiasme dont il avait secoué l’Individualisme frémissant. Par deux fois le peuple avait enfin con-