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Page:Parigot - Alexandre Dumas père, 1902.djvu/95

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LE DRAME MODERNE.

tume au fond de ces âmes bourgeoises, pour être venu à Paris en sabots, on n’en est pas moins sensible au prestige des grands noms et des grandes dames. À cet égard, Kean les surpasse tous. Je vous dis qu’il est universellement incomparable. Figaro convoitait sa femme ; Antony celle du voisin ; M. Kean traîne tous les cœurs après soi. D’en haut, d’en bas, Ketty la blonde, Anna, la comtesse Elena s’élancent vers lui comme en un rêve….

Tous les honneurs, toutes les femmes.

Qui ne reconnaît une âme plébéienne à cette flatteuse erreur ? Aussi bien Kean, dans sa candeur de banquiste qui a réussi, recherche le grand monde dans l’hôtel cosmopolite d’une ambassade. Il est peuple et contemporain de Louis-Philippe.

Il pouvait racheter son désordre en élevant à soi Ketty la blonde, petite cigale. Mais on s’éblouit à faire la cour aux comtesses ; et, si la comtesse vient à se moquer de nous, on épouse Anna, qui est majeure, qui possède vingt mille livres de rente, lesquelles ne dépareront point le génie. Au fait, cette Anna qui n’a pas de génie, ne manque point de finesse. Elle chatouille fort innocemment l’amour-propre de M. Kean ; elle sait choisir son sauveur et s’avise que peut-être ces hommes forts sont le jouet de leur outrecuidance. Avec un beau sérieux ils confessent, sermonnent, auscultent, protègent la vertu de femmes plus ingénieuses qu’ingénues ; et ils les sauvent de dangers illusoires, comme des terre-neuve bien dressés. Lorsque Taine les aura endoctrinés, ils seront des raisonneurs admirables,