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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/180

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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

rendre visite à la reine Christine aux environs de 1658, et nous entendrons la reine demander une lecture de Cinna, qui avait quelque dix-huit ans d’âge[1]. La critique et le génie sont deux.

Mais, si vous lisez les pages que Dumas a écrites à propos d’Henri III ou d’Antony, au milieu de gasconnades de toute sorte, vous n’y rencontrerez pas une erreur sur l’effet de telle scène, l’optique du théâtre et les éléments constitutifs du drame. Il sait la gamme des émotions ; il en a le génie dans les moelles. On voit qu’à tout coup l’idée jaillit de son cerveau sous forme d’un tableau ou d’une situation. Il défend Antony contre les attaques d’un M. Lesur ; il s’échauffe, il ébauche, le Fils naturel, non pas celui de Diderot, mais l’autre[2]. Son imagination est en scène, et sa fantaisie en action. Il n’a point d’idées, sauf de théâtre ; ou, si l’on veut, il a plus de génie que d’intelligence et plus de tempérament dramatique que de tout le reste. Le feuilleton d’Antony[3], si fécond pour le développement du drame moderne, n’est en son fond que la distinction technique de la « pièce à manteau », et de la « pièce en habit ». Pendant toute sa vie, il a été rebelle à la critique, aussi incapable de la supporter que d’y atteindre. Je ne le diminue pas pour autant. S’il avait eu plus de littérature, de goût, d’idées esthétiques ou philosophi-

  1. Brunetière, les Époques du théâtre français, XIVe conférence, p. 338.
  2. Mes mémoires, t. VIII, ch. cc, p. 124. « … On l’a chicané sur son âge, sur son nom, sur son état social… Où cela ? Parbleu ! dans cette enceinte où l’on fait les lois, et où, par conséquent, l’on n’aurait pas dû oublier que la loi proclame l’égalité des Français en face les uns des autres. Eh bien, cet homme, avec la merveilleuse persistance qui le caractérise, arrivera à son but : il sera un jour ministre… »
  3. Antony, IV, sc. vi, p. 211. Mes mémoires, t. VIII, ch. cxcix, p. 110.