Aller au contenu

Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
13
L’HOMME ET SON ÉPOQUE.

aussitôt consistance, pour s’évanouir l’instant d’après sans laisser derrière elles ni regret, ni tristesse ; tempérament extraordinaire, toujours en haleine, en santé, en mouvement, comme les héros et les petits enfants, et toujours prêt, ainsi que Porthos, à porter les tours de Notre-Dame[1].

Il est vrai que du penseur il n’a rien ; il atteint malaisément aux idées générales, qu’il traite trop volontiers de Turc à More. Il n’est ni compliqué ni subtil ; mais il possède la délicatesse, même poétique, quand il lui plaît : souvenez-vous des attaches fines et de la main déliée. Cette main, qui frappe d’instinct les coups de violence, a des caresses presque féminines. Ce lutteur ne manque point de grâce, alors qu’il raccourcit le geste pour effleurer ce qu’il touche. Ces gentillesses lui sont naturelles, pour peu qu’il s’attendrisse. Et j’ai dit qu’il est tendre volontiers et souvent. Le peuple se plaît aux larmes des athlètes sensibles.

Il est vraiment peuple et « enfant de la nature » ; tout ce qui l’amuse est bon, et mauvais tout ce qui l’ennuie[2]. Il a une religiosité vague[3], avec la superstition des obscures fatalités[4] ; d’ailleurs inconsistant, endurant,

  1. Le Vicomte de Bragelonne, t. IV, ch. x, p. 86.
  2. Mes Mémoires, t. II, ch. lv, p. 249.
  3. Mes Mémoires, t. I, ch. xxiv. Paragraphe important : «… À tout cela j’ai dû un grand respect pour les choses saintes, une grande foi dans la Providence, un grand amour en Dieu. Jamais, dans le cours d’une vie déjà assez longue, je n’ai eu, aux heures les plus douloureuses de cette vie, ni une minute de doute, ni un instant de désespoir (cf. Antony) ; je n’oserais pas dire que je suis sûr de l’immortalité de mon âme, mais je dirai que je l’espère. Seulement, je crois que la mort, c’est l’oubli du passé sans être la renonciation de l’avenir… » Cf. Préface du Comte Hermann : «… Celui qui écrit ces lignes, appuyé sur les deux croyances qui ne l’ont jamais quitté — sa foi eu Dieu et sa foi dans l’art… » (Théâtre, t. XVI, p. 197.)
  4. Mes mémoires, t. III, ch. lxx, p. 101. Prédiction de la somnambule.