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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/292

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LE DRAME d’ALEXANDRE DUMAS.

très coupable. Mais d’abord elle est une reine : absolue dans ses caprices, ses volontés, et ses débauches. Elle est un « vampire » ; elle est « la femme de toutes les voluptés ». On trouvera dans la Comtesse de Charny et le Chevalier de Maison-Rouge le commentaire peu flatteur de cet état de reine sur les lèvres des gens du faubourg. Le citoyen Rocher et la veuve Tison ne jugeront pas autrement l’Autrichienne. Marguerite de Bourgogne, grande dame vicieuse, subit la revanche de l’imagination populaire. Le cri suprême de Philippe : « Marguerite de Bourgogne ! reine de France »[1], elle le paye chèrement. Capable de tous les forfaits, puisqu’elle a tous les pouvoirs : voilà le lot de l’infâme. « Poursuivie par le remords, je me suis réfugiée dans le crime… j’ai voulu étouffer dans le sang et les plaisirs cette voix de la conscience qui me criait incessamment : Malheur ! Autour de moi, pas un mot pour me rappeler à la vertu, des bouches de courtisans qui me souriaient[2] … » On le voit : la royauté est du même coup flétrie. Marguerite a commencé par l’échelle de soie de Juliette ; elle ne peut finir que comme Messaline. Un jour la place de Grève retentira du refrain de la Carmagnole, et ce sera grande liesse parmi les truands… J’exagère à peine. Quand Marguerite répond à Buridan : « Une reine de France peut-elle sortir seule à cette heure ?[3] » il la renvoie à la Tour de Nesle ; et si, au cabaret d’Orsini, elle réclame les témoignages de déférence dus à son rang : « Je te parlerai debout et découvert, réplique le capitaine, parce que tu es femme, et non parce que tu es reine[4]. » C’est la démagogie chevaleresque, où aspirait déjà Beaumarchais, sans s’en rendre exactement compte.

  1. La Tour de Nesle, I, tabl. ii, sc. vi, p. 24.
  2. La Tour de Nesle, V, tabl. ix, sc. iii, p. 94.
  3. La Tour de Nesle, II, tabl. iii, sc. iii, p. 34.
  4. La Tour de Nesle, II, tabl. iv, sc. ii, p. 38.