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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/317

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ANTONY.

que tu m’aimeras ?… Oh ! c’est alors, mon ange, que je deviendrais athée ou blasphémateur ! Car je ne pourrais croire à Dieu sans le maudire… Dieu me séparerait de toi ! Et si c’était pour toujours ! Oh, ma vie, plains plutôt mon doute que de le blâmer !… Personne n’en souffre plus que moi[1] »… Il lui donne, une fois, un rendez-vous galant au Père-Lachaise[2].

Poète, c’est ainsi que font les grands poètes[3]

Ces affres du scepticisme et du blasphème, où il se débat, ne sont que littérature. Quelques années plus tard, Mélanie pouvait lire dans Mes mémoires : « Jamais, dans le cours d’une vie déjà assez longue, je n’ai eu, aux heures les plus douloureuses de cette vie, ni une minute de doute, ni un instant de désespoir[4] ». Il éprouve ses effets de scène, même dans l’intimité, par un mirage de l’imagination qui portait en elle le personnage d’Antony.

S’il aime, sa tête briile ; il ne peut étouffer les batte-

  1. Lettres inédites. Cachet postal, 21 septembre 1827.
  2. Il faut d’ailleurs reconnaître que ce doute, qui l’obsède, revêt parfois une forme assez utilitaire. « … Jouissons du bonheur des vivants avant d’aller envier le repos des morts. Ah ! leur couche est bien froide, Mélanie, pour qu’il y reste une étincelle de vie et d’amour… Oh ! n’attendons pas ce moment pour dormir dans les bras l’un de Pautre ; tu n’aurais qu’à t’étre trompée… » Et si ce doute refroidit l’âme croyante de Mélanie, alors il n’est pas plus athée qu’il ne sied. « … Car je ne suis pas athée, quoi que tu en dises ; je ne le deviendrai jamais, puisque l’athée est celui qui ne croit en rien, et que, si je cessais de croire en Dieu, je croirais encore en toi ». Au fond, son athéisme n’est qu’un beau geste, le poing tendu vers Dieu, et qui ne tient pas contre le plaisir de faire un madrigal. Voir plus bas, p. 317. Il reproduit textuellement ce madrigal dans le manuscrit original d’Antony.
  3. La nuit de mai, Alfred de Musset.
  4. Mes mémoires, t. I, ch. xxiv. p. 271. Cf. t. II, ch. xxxi, p. 27. Cf. t. ix, ch. ccxxxi, p. 133.