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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/373

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LES SUITES D’« ANTONY».

enfant, — un enfant prodige, certes, qui, à dix-huit ans, a « vécu mille ans[1] ». Si l’œuvre était de Clara Gazul, on craindrait une mystification. Chatterton, ironiste et génial, a le cerveau lourd : il s’est attelé à un poème archéologique. Il soufdre, il éprouve des pesanteurs à l’âme. Pâle, cela va de soi ; mais « énergique de visage, faible de corps, épuisé de veilles et de pensées[2] ». Tout cela est-il si original et digne d’un philosophe, en 1835 ? Qu’est-ce donc, sinon un petit Byron, qui s’en irait de la poitrine, s’il ne lui survenait un autre accident ? Enfant capricieux et fantasque, d’ailleurs. Une femme l’interroge ; il s’enfuit et rentre sans chapeau[3]. La femme, dans un instant, coupera la même scène par une fuite semblable. Entendez qu’ils sont très émus. Anges purs !

On nous dit qu’en lui « la rêverie continuelle a tué l’action[4] ». Que de pessimisme, de Avertherianisme, de byronisme, que d’affaires pour un loyer impayé et quelques besognes de librairie inachevées ! Inspiration, fatalité[5], « mains glacées », « tête brûlante »[6], toutes les turlutaines, il les reprend toutes. Que ne prend-il plutôt son chapeau, qu’il a oublié tout à l’heure : le grand air lui fera du bien, avec quelques kilomètres de marche et de respiration à fond. La tâche quotidienne le rebute ; l’effort régulier lui répugne. Mais tous, voire les plus grands, s’y sont assujettis. La vie est une suite de labeurs traversés de rêves au delà. Tous ont eu leur muse, leur sainte, leur châsse ; et ils ont passé des nuits en travail, quoiqu’en solitude : Byron,

  1. Chatterton, I, sc. v, p. 28.
  2. Caractères et costumes des rôles principaux, p. 15.
  3. Chatterton, II, sc. iv, pp. 47 et 49.
  4. Chatterton, I, sc. v, p. 29.
  5. Chatterton, I, sc. v, p. 29.
  6. Chatterton, III, sc. i, p. 54.