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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/418

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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

le corps humain, s’éprend, sur la plage, d’une inconnue, avec enfant, sans mari, et qui n’a pas dit son non : elle à la ligne. Il l’aime follement, depuis une année, pour l’avoir vue passer, pendant que déferlait la vague et que le rossignol chantait. Et il chante, et il arpente la falaise, il lit Musset, il exhale en mélodies ardentes sa flamme intérieure. Si cette passion n’est pas celle d’Antony, qu’est-elle ? Plus raisonneuse et froide, il est vrai, avec une certaine logique formelle, qui est la marque de Dumas fils ; mais plus résolue aussi. Camille apprend la vérité sur Jeanne, il ne bronche pas, il pardonne ; et non seulement il pardonne, mais il veut réparer, épouser, adopter. Il ne dédaigne point les sentiers frayés : il est poète. Il sait le peu qu’est la guenille et le trop d’importance que nous attachons à je ne sais quelles prémices de la chair : il est chrétien et médecin. Cet Antony nourri du pur suc de l’Évangile, prenez garde que malgré le calme du visage, qui a remplacé le rictus athée, prenez garde qu’il est autrement frénétique et forcené : il épouse, dis-je, il épouse. « Je sais, affirme-t-il, plus de choses que n’en savent d’ordinaire les hommes de mon âge[1]. » Antony avait aussi beaucoup appris ; et le savoir est à l’un et à l’autre pareillement vain. Mais, chez Camille Aubray, la passion éclate si forte que rien, non pas même la foi qu’Antony n’avait point, ne le saurait garantir, et que science, poésie, musique, religion, tout plie au gré de cette ardeur irrésistible[2]. C’est l’apologie, la païenne et

  1. Les Idées de Madame Aubray, III, sc. i, p. 297.
  2. Ibid. : « C’est le travail, c’est l’industrie, c’est la science, c’est le génie qui donnent une vie aux sociétés, mais c’est l’amour qui leur donne une âme ». La différence, c’est que pour Antony le génie et l’amour ne faisaient qu’un. Mais Dumas fils croyait fermement aux grandes passions dévorantes.