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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/74

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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

c’est la variété, le surnaturel, la vigueur de la fantaisie, la force des passions et aussi la violence qui les exprime, l’être humain dans sa vie et ses convulsions, dans ses rêves fous et mystérieux, qui le transportent. Le souffle de Shakespeare a passé sur son théâtre, et y a déposé la semence populaire. Mais il a passé vite.

« Nous avons, dit-il à propos de Ponsard, entre nous un abîme…… c’est le génie de Shakespeare[1]. » Il demeure entendu que cet abîme existe aussi bien entre Shakespeare et lui. Il ne le déclare point : on n’avoue pas ces choses-là entre 1830 et 1840. Mais il s’en avise dans la pratique. Il faut être Schiller ou Hugo pour refaire Hamlet (Fiesque) ou reprendre la fin du Roi Lear (le Roi s’amuse). Il faut être plus poète que dramatiste et faire fonds sur la forme. On n’est pas au théâtre d’après Shakespeare. On le traduit, on ne rivalise pas avec lui. À part quelques scènes de mouvements populaires, d’élections, quelques autres d’un comique greffé sur le vif du drame[2], plusieurs bonnes tueries remplies d’horreur, et des violences de style ou des caresses de la voix, dont les premières au moins ne lui réussissent pas toujours[3], — Dumas ne se joue pas directement au monstre lui-même. Il s’en inspire ; il s’assimile ce qui convient à son talent. On sent partout l’influence ; on la devine plutôt qu’on ne la constate, après analyse. Partout des traces, comme disent les chimistes, et peu d’imitations précises ou de fragments. Le narcotique de Juliette, le mouchoir d’Othello dans Henri III, et c’est tout.

  1. Souvenirs dramatiques, t. II. L’Ulysse de Ponsard, p. 362.
  2. Voir le rôle de Joyeuse dans Henri III et sa Cour ; la scène du potiron dans Paul Jones (Th., VI), III, sc. v, p. 166 ; et celle de la pendule dans Gabriel Lambert (Th., XXIV) I, sc. viii, pp.216 sqq.
  3. Voir ci-après, p. 416.