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Page:Paris - François Villon, 1901.djvu/169

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L’ŒUVRE.

ries, les tripots et les rues où Marion l’Idole et la grande Jeanne de Bretagne tiennent leur « publique école ». C’est pour le monde spécial qui fréquente ces lieux divers qu’il écrit, c’est par ce monde seul que, dans son temps, il pouvait être pleinement goûté. S’il n’avait pas eu les tragiques aventures qui interrompirent sa carrière normale, s’il s’était contenté d’être un écolier paresseux et un coureur de tavernes, il n’aurait peut-être fait que des poésies d’étudiant, comparables à celles que nous voyons éclore de nos jours dans les brasseries qui ont remplacé les anciens cabarets. La souffrance n’aiguisa pas seulement son esprit ; elle tira de son cœur des accents que nul n’avait fait entendre jusque-là. Fils du peuple, entré par l’instruction dans la classe lettrée, puis déclassé par ses vices, il dut à son humble origine de rester en communication constante avec les sources éternelles de toute vraie poésie. Mais sa poésie n’est pas une poésie vraiment populaire : farcie d’allusions érudites et même de latin, elle n’était dès qu’elle se produisit, intelligible qu’aux lettrés. Heureusement pour lui, il ne fraya que peu avec les grands et ne réussit pas à se faire de son art un instrument de fortune auprès d’eux. Il écrivit pour s’amuser, pour amuser ses pareils, et pour déverser la masse d’émotions, d’idées et d’observations qui lui emplissaient le cœur et la cervelle. Et il s’est trouvé par là même que, dans son œuvre pourtant bien brève, il a donné à son temps l’expression poétique la plus complète et la plus originale qui pût lui être donnée. La poésie du XVe siècle était condamnée à manquer d’inspiration épique, de grandeur morale et