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Page:Pascal - Pensées, éd. Havet.djvu/97

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19
ARTICLE I.
2.

Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tète[1], car ce n’est que l’expérience qui m’apprend que la tète est plus nécessaire que les pieds. Mais je ne puis concevoir l’homme sans pensée, ce serait une pierre ou une brute.

3.

La grandeur de l’homme[2] est grande en ce qu’il se con-

    qui est vrai de l’espace, du temps, du mouvement abstraits, l’est-il aussi des choses étendues qui se meuvent et qui durent ? C’est ce qu’il ne songe pas à examiner. Il franchit sans hésiter un passage que d’autres ont déclaré infranchissable. Il fait plus ici : il lui échappe de parier du néant, non plus comme d’une limite idéale, mais comme de quelque chose de réel ; il se laisse abuser par le langage des mathématiques. Le mathématicien, faisant entrer l’infiniment petit dans son calcul, le compte comme égal à zéro, parce que le calcul n’exprimant que des rapports, reconnus et mesurés par notre esprit, peut négliger une quantité en comparaison d’une autre, si elle lui est trop disproportionnée suivant notre mesure. Mais, dans la nature, il n’y a pas d’infiniment petit qui soit un néant, car le néant n’est pas. L’homme n’est pas un milieu entre rien et tout, car entre rien et tout il n’y a pas de milieu ; rien n’est rien, ce n’est pas un terme à partir duquel on puisse prendre une distance. Dire que nous avons trop d’être pour comprendre les principes, parce que ces principes ont leurs racines dans le néant, c’est mettre des mots à la place des choses ; le néant n’est pas un principe, rien n’est fait avec du néant ; d’ailleurs il s’ensuivrait de ce raisonnement que, pour comprendre les principes, il faudrait n’avoir pas d’être. Pascal ici nous semble dupe de l’imagination, contre laquelle il a écrit des pages si éloquentes ; mais son imagination, au lieu de se prendre aux objets qui touchent les sens, comme celle du vulgaire, s’attache à des signes mathématiques. Il réalise les nombres, comme Pythagore et Platon.

  1. « Sans mains, pieds, tête. » P. R. a cru devoir adoucir ce dernier trait ; il écrit : sans mains, sans pieds, et je le concevrais même sans tête si l’expérience ne m’apprenait que c’est par là qu’il pense. Ou lit dans un dialogue posthume de Descartes, conservé dans une traduction latine qui a été publiée en 1701 : « Il m’a été nécessaire, pour me considérer simplement tel que je me sais être, de rejeter toutes ces parties ou tous ces membres qui constituent la machine humaine, c’est-à-dire il a fallu que je me considérasse sans bras, sans jambes, sans tête, en un mot sans corps » (édition de M. Cousin, tome XI, page 364).
  2. « La grandeur de l’homme. » La phrase n’est pas faite ; Pascal a écrit comme l’on écrit pour soi. Nous ne relèverons pas toutes les négligences de ce genre. Ainsi, au § 3 : La grandeur de l’homme est grande. La grandeur et la misère de l’homme, c’est un texte qui revient sans cesse dans Pascal, c’est à ses yeux le fond de In religion. Voir particulièrement sur ce sujet