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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/117

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INQUIÉTUDE D’ESPRIT ET DE CŒUR

le plaindre, car sa destinée est très douce, par rapport à celle de tant de petits commerçants ; ni de le mépriser, car il est intelligent, et son niveau moral n’est pas plus bas que celui du reste de l’époque ; ni de le magnifier, car ce niveau n’est pas haut, et il ne peut guère monter, vu l’âge de la race. Il y a lieu, en revanche, de le redouter, car trop de gens pratiquent, à son égard, l’abominable programme de l’agitateur allemand qui disait : « Il faut apprendre au peuple qu’il est malheureux, » et, en lui donnant le droit de conduire seul les affaires de l’État, puisqu’il constitue les majorités — prodigieuse erreur qui fera de la France, dans les siècles à venir, l’ilote de l’histoire, — on lui a mis en main de quoi porter à la civilisation dans notre pays des coups irréparables. Il y a lieu surtout de s’attrister devant ce chétif échantillon d’espèce humaine, quand on pense que l’effort séculaire de notre histoire aboutit aujourd’hui, avec la complicité de tous les charlatans électoraux, à la souveraineté de pareilles incompétences. Une telle constatation est toujours amère. Elle l’est davantage encore, quand cette preuve de l’avortement national dans les couches profondes de la vie populaire s’ajoute à la constatation d’un avortement pareil dans les couches plus élevées. C’était le cas pour le fils de Joseph Monneron. Il allait, allait indéfiniment, cherchant, parmi les innombrables visages qu’il croisait dans ces avenues et ces ruelles, des physionomies vraiment heureuses, saines et fortes. Il n’en trouvait