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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/127

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INQUIÉTUDE D’ESPRIT ET DE CŒUR

geusement adopté la tactique qui paraît bien devoir être celle de tous ceux qui, comme lui, pratiquent d’instinct la formule : « Pereat mundus, fiat Justitia… » Il s’était fait socialiste, et socialiste-collectiviste, pour mettre, il le disait ouvertement, « la force du peuple au service des idées que la bourgeoisie a défendues, il y a cent ans, et qu’elle abandonne. » Quand on lui rappelait combien le sauvage est procbe du civilisé aux époques d’insurrection, les massacres de Septembre, les journées de Juin, et, tout près de nous, la Commune, il lui arrivait de répondre par une citation virgilienne qui trahissait, dans le disciple de Karl Marx, l’élève de l’École Normale. « O passi graviora !… » Et un sourire d’une ironie singulière flottait nerveusement autour de ses lèvres. On y lisait le ressouvenir des persécutions et l’audace intellectuelle d’une race qui, ayant trop souffert, ayant trop connu les pires extrémités du sort, ne tremble pas devant la perspective de bouleversements, moins terribles que ses anciennes misères.

Tel était le personnage supérieur et déconcertant, si voisin de lui par certains côtés, si éloigné par d’autres dont Jean Monneron désirait passionnément la présence au terme de cette journée d’agonie, aussi passionnément qu’il l’avait évité pendant plusieurs semaines. Quand il fut arrivé devant la maison du faubourg Saint-Jacques qui portait, à son rez-de-chaussée, la modeste enseigne : « Restaurant de tempérance, » il éprouva