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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/130

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L’ÉTAPE

Il ne s’était plus rappelé cette inégalité de ses procédés vis-à-vis de son camarade ; mais, que celui-ci en eût été froissé, cette nuance de son accueil le révélait assez. En temps ordinaire, cette susceptibilité eût touché Monneron. Il y eût reconnu, outre une profonde amitié, cette ombrageuse et instinctive méfiance, si justifiée chez les descendants d’une race objet de tant de haines. Il avait les nerfs trop tendus pour que le moindre désappointement ne le crispât point, et il répondit, en s’étonnant lui-même de la phrase agressive que sa voix prononçait (il était venu rue du Faubourg-Saint-Jacques dans des intentions si autres !) :

— « Tu appelles cela un grand pas ? Nous nous plaignons déjà de la demi-science des bacheliers, qui ne fait que les rendre plus sots et plus malheureux. Que seront donc ces prolétaires instruits ? Des quarts de bacheliers, et pas même !… Cela promet… »

Après avoir lancé cette boutade, extraordinaire dans cet endroit, et dans sa bouche, à lui, un des fondateurs de l’U. T., il se dirigea vers le guichet où l’on vendait les bons de portions. Afin d’éviter l’embarras et la dépense du service, Crémieu-Dax avait imaginé ce petit bureau central. Le consommateur y payait d’avance les plats qu’il s’était choisis sur le menu. On lui remettait des fiches qu’il allait changer, lui-même encore, à un autre guichet, celui de la cuisine, installée nu fond, contre des portions toutes préparées dans des assiettes. Il revenait à sa table, son plat