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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/139

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INQUIÉTUDE D’ESPRIT ET DE CŒUR

Alors il n’eût pas eu le droit de dire « à quoi bon » ? au généreux effort de son ami ! Mais le crucifix n’était pas sur le mur, les âmes que Jean pouvait déchiffrer sur ces visages étaient pleines d’ombre, ces fronts chargés de la rancune d’un sort mal accepté. Lui-même n’était pas auprès de M. Ferrand, à se laisser envahir par l’effluve de cette forte pensée, à entendre ses morts, qui avaient tous cru, lui parler par cette bouche de croyant. Il était assis à la même table qu’un irréconciliable ennemi de la pensée de M. Ferrand et de la foi de ses ancêtres, participant, par sa seule présence, à une tentative faite par un étranger contre le génie de sa patrie, et cet étranger était le plus cher compagnon de sa jeunesse, celui qu’il estimait et admirait le plus pour tant de hautes choses de sa nature !… Et il l’écoutait lui résumer, par anticipation, la séance du comité de l’Union Tolstoï à laquelle ils allaient assister :

— « J’attache la plus grande importance, » disait Crémieu-Dax, « à ce que l’abbé Chanut parle chez nous. Rien qu’en venant discuter avec nous, il fait adhésion au criticisme, et là nous sommes ses maîtres. Et puis, je tiens à ce qu’il nous connaisse. Quand j ai eu l’idée de l’U. T., tu te le rappelles, je t’ai dit que je pensais à notre éducation autant qu’à celle de nos camarades ouvriers. C’est là mon principe : une coopérative de mentalités. Aller au peuple pour échanger des leçons, pour lui en donner et en recevoir. J’ai l’idée qu’à notre contact, ce prêtre sera très