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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/142

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L’ÉTAPE

j’en serais enchanté… Mais il faut aller, il est huit heures et demie… »

Il avait consulté sa montre, en prononçant ces phrases qui décelaient si peu d’estime pour leur commun camarade. Se levait-il pour ne pas laisser son interlocuteur lire dans ses yeux un secret qu’il avait surpris et qu’il voulait cacher ? Cet équivoque discours était-il un coup de cloche, un appel à la défiance de Jean ? Ou bien ne faisait-il qu’exprimer la naturelle répulsion qu’un jeune homme absolument chaste, comme il l’était, éprouve pour le libertinage d’un autre ? Rumesnil, dans l’entre-deux de ses ferveurs socialistes, se vantait volontiers d’avoir, de-ci de-là, un peu partout, des aventures faciles. Ces questions surgirent à la fois dans la pensée du frère de Julie Monneron, et il fut tout prés de crier : « Tes paroles ont un autre sens. Explique-les. Voyons, que sais-tu ? Il s’agit de ma sœur, n’est-ce pas ?… » Puis, en lui-même : « S’il sait quelque chose, il m’a dit tout ce qu’il pouvait me dire. S’il ne sait rien, qu’irai-je lui apprendre ? Mais qu’y a-t-il ? Qu’y a-t-il ?… » Cependant ils avaient tous deux quitté la petite salle et ils faisaient sur le trottoir les cent pas qui séparaient le restaurant de l’U. T. Oui, que savait ce perspicace ami dont Jean avait si souvent remarqué la force d’observation, chaque fois qu’il ne s’agissait pas de ses chimères socialistes, car alors Crémieu-Dax passait du réalisme le plus avisé à l’utopie la plus folle, avec une rapidité qui prouvait combien tous ses pouvoirs