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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/145

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INQUIÉTUDE D’ESPRIT ET DE CŒUR

de son amour pour Brigitte. Le seul fait qu’il eût parlé de M. Ferrand prouvait que non. Ce n’était pas de ses rapports avec son père et de leur misère morale. Crémieu-Dax ne les connaissait pas, et, avec sa nature si déterminée, si positive, il ne les eût même pas compris. Cette pitié ne pouvait venir que d’une certitude sur la détestable intrigue dont tant d’indices avaient déjà révélé au frère de Julie le criminel mystère. Son émotion, à interpréter ainsi le geste de son ami, fut si forte que la tentation de lui dire ses soupçons lui revint, plus forte, presque irrésistible, pour essayer de savoir enfin… Il allait peut-être parler, lorsqu’un appel, venu d’une voiture qui s’arrêtait à la porte de la maison, les fit se retourner tous deux au moment de franchir le seuil. C’était Adhémar de Rumesnil, précisément, qui, sautant de son fiacre de cercle, accourait vers eux, et disait :

— « Je ne suis pas en retard ?… Quelle chance ! J’ai dîné à l’Agricole en deux temps, trois mouvements. Je me suis payé la tête d’un de mes cousins, qui voulait passer la soirée avec moi. Je lui ai raconté où j’allais… Ah ! mes amis, si vous aviez vu sa mine ! À notre âge, lui ai-je dit, vous couriez aux Variétés applaudir Hortense dans la Belle Hélène : hé bien ! nous autres, nous préférons Toynbee-Hall… Croiriez-vous qu’il n’avait jamais entendu ce nom ? Il a épousé une Américaine, et c’est moi qui lui ai appris que nous arrivions mauvais derniers, nous autres, Français, avec nos timides essais. Quand je lui