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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/203

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LE CHEMIN DU CRIME

marche hongroise, ressouvenir de l’Exposition, les vers spirituels de Cyrano, alors voisins de leur nouveauté :

Ce sont les Cadets de Gascogne
De Carbon de Castel-Jaloux…

Il y avait un contraste tragique entre cette gaîté du jeune homme et la poignante anxiété où l’attendaient son père et son frère. Cette chanson, l’allure décidément trop incertaine du pied, le temps qu’il mit à trouver la porte de sa chambre, — l’équivoque n’était pas permise. Cette rentrée tardive succédait à un repas, prolongé fort joyeusement et terminé plus joyeusement encore chez Mme Angèle d’Azay, d’où il avait fallu déguerpir avant minuit, pour laisser la place au protecteur officiel. Jean fit un geste pour demander à son père s’il devait appeler Antoine. Le père inclina la tête en signe d’assentiment, et le frère cadet passa dans le couloir, où il put constater aussitôt avec quelle allégresse le faussaire portait ce « poids sur la conscience » dont avait parlé le professeur, en citant à l’appui, — le métier est une seconde nature, — le classique passage de Juvénal. La lumière échappée du cabinet de travail donnait juste sur la silhouette du jeune homme qui, le chapeau à haute forme un peu en arrière de la tête, le pardessus ouvert, sa somptueuse cravate du matin remise à la diable, mâchonnait un cigare à demi éteint. Il n’était pas assez ivre cependant pour que la venue de son frère au-devant de lui.