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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/215

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LE CHEMIN DU CRIME

— « M. Berthier ne me dénoncera pas, » interrompit vivement Antoine. « Il ne peut pas le faire. Il perdrait sa place. Il est responsable de son bureau… Quant aux opérations, elles étaient sûres, faudra-t-il que je te le répète vingt fois ? sûres, comme il est sûr que nous voilà. J’ai pris un moyen incorrect, je te l’ai dit aussi. Je n’en avais pas le choix… J’aurais à faire ce que j’ai fait, je le referais. Je ne suis pas comme lui, moi », et il désigna du doigt une photographie de Joseph Monneron sur le mur, « ni comme toi. Je ne suis pas une belle âme, et je ne me paye pas de mots. J’en ai assez d’être dans la société comme ces malheureux à la porte des grands restaurants, qui hument les odeurs de la cuisine que les autres mangent. Je veux être de ces autres, moi ; entrer dans la salle, moi ; m’asseoir à la table, moi ; avoir ma part, moi, des bons plats qui mijotent dans les sous-sols. Depuis que j’ai des oreilles pour entendre, on ne me parle que de démocratie, d’égalité, du droit de tous à tout. Puis, quand il s’agit de la pratique, cette égalité se ramène au sale petite morceau de papier déposé dans l’urne. Papa me l’a encore servie ce matin, cette calembredaine. Tu en es témoin. Moi, je me fiche du petit papier ! Je suis un jouisseur et un arriviste tout simplement, et j’arriverai, comme je pourrai, mais j’arriverai… Notre éducation n’a eu que ça de bon : nos cervelles ne sont pas farcies d’un tas de sornettes, notamment sur l’autre vie. Nous savons qu’il n’y en a qu’une,