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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/241

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LES FRÈRES ET LA SŒUR

de ne pas employer du papier à son chiffre. Ça traîne chez les concierges, les lettres, et il peut y avoir des indiscrets pour regarder les enveloppes… Que cela ne t’empêche pas d’envoyer tout de même celle que tu étais en train d’écrire, quand je suis entré… Seulement, si elle est pour lui, » ajouta-t-il, comme Julie avait fait le geste instinctif de placer sa main sur le buvard, « tu vas y ajouter un post-scriptum, où tu lui demandes de venir rue Claude-Bernard, ou bien à l’angle de la rue Amyot, ou ailleurs, à ton choix, et aujourd’hui même. Tu lui expliqueras mon affaire comme il est convenu, et, avant ce soir, nous aurons les cinq mille francs.

— « Je ne lui expliquerai rien, » dit Julie, d’une voix décidée maintenant… « Et tu n’auras pas les cinq mille francs, du moins par moi. Je ne demanderai pas à M. de Rumesnil de nous prêter de l’argent, entends-tu ? Je ne le demanderai pas. » Elle avait croisé les bras pour répondre à son frère, et elle s’était assise de côté sur le bord de la table à écrire, penchant sa petite tête en arrière, dans une attitude de résolution. Si différente d’Antoine par tant de côtés de sa nature troublée et passionnée, mais sans bassesse, elle lui ressemblait par ces insolences froides dont elle était coutumière, comme lui, dans les minutes difficiles. Le ton du jeune homme se fit plus impatient encore pour insister :

— « Et tu crois qu’un procès fait à ton frère, avec des comptes rendus dans les journaux, avancera beaucoup ton mariage ?… »