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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/25

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UN AMOUREUX

entretiens, en apparence si abstraits, — ils ne parlaient jamais que d’idées, — une chaleur et presque une âpreté de combat. La funeste guerre civile à laquelle une retentissante affaire judiciaire servit de prétexte plus que de cause, les avait, un moment, séparés jusqu’à la brouille. Il n’est pas besoin de dire dans quel camp le lucide et sage génie de M. Ferrand l’avait rangé. Après une année entière d’absence et de silence, Jean était, un beau jour, revenu chez son maître, qui l’avait accueilli les bras ouverts. Mais, d’un commun accord, les deux hommes s’étaient, depuis cette époque, interdit précisément les sujets qui les enflammaient le plus jadis. Ferrand, toutefois, n’avait pas cessé d’observer son ancien élève de son perspicace regard. Des signes de tous ordres lui avaient montré que cette conscience continuait d’être très inquiète, très troublée. Il se faisait en elle un travail. C’est durant cette période qu’il avait constaté un romanesque éveil d’amour dans le cœur de Jean et dans celui de sa fille. Il n’eût pas été le croyant qu’il était, tout pénétré d’une foi à la Joseph de Maistre dans la constante action de la Providence sur nos destinées privées, s’il n’avait pas vu, dans ce réciproque attrait, une grâce d’en haut, un moyen dont Dieu se servait pour ramener une âme. Aussi, lorsque Jean s’était décidé à se déclarer enfin et à lui parler de son sentiment pour Brigitte, le père avait été persuadé que cette démarche supposait chez le jeune homme une évolution définitive. Demander