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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/274

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L’ÉTAPE

inquiète, les yeux brûlants, le sein palpitant, les mains fiévreuses :

— « Hé bien ! » lui avait-elle demandé, « tu as trouvé Crémieu-Dax ?… » Et, comme il secouait la tête en signe de dénégation : « Mon Dieu ! » gémit-elle, « tu es arrivé trop tard !… »

— « Non, » put-il enfin dire à voix basse. « J’ai eu l’argent de quelqu’un d’autre ; mais, quand je me suis présenté chez M. Berthier, les cinq mille francs avaient déjà été payés. »

— « Par Antoine ? » interrogea-t-elle, haletante.

— « Par Antoine, » répondit-il.

— « Par Antoine !… » répéta-t-elle sans avoir la force d’ajouter un mot. Elle s’était laissée tomber sur une chaise, les mains croisées sur ses genoux, les yeux fixes. Une hallucination plus forte que sa raison lui montrait la scène hideuse : le faussaire entrant chez le séducteur, et exerçant sur lui, sous des formes ou brutales ou courtoises, — qu’importait ! — ce détestable chantage. Elle avait cependant un motif de croire que cette démarche n’avait pas pu être faite. Tout à l’heure, Jean à peine parti, pour aller, croyait-elle, chez Crémieu-Dax, elle s’était dit qu’elle pouvait encore essayer d’agir, elle aussi, de son côté, et empêcher, si le hasard permettait qu’il en fût encore temps, qu’Antoine ne se servît de son nom. Elle avait écrit un billet de quelques lignes à Rumesnil, ou elle le suppliait, s’il recevait la visite de son frère aîné, de ne pas faire ce que celui-ci lui demanderait Elle était descendue chez le concierge, qu’elle