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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/28

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L’ETAPE

blonde allait rayonner tout à l’heure dans ce décor d’automne et de tristesse, si ses calculs s’étaient trouvés justes !

Ils l’étaient. Les amoureux ont à leur service un don de divination presque infaillible, qui ressemble aux visions du génie. Le principe n’en est-il pas identique : des facultés de logique portées à un degré supérieur sous l’influence de l’observation aiguë et de l’idée fixe ? Brigitte Ferrand s’approchait, en effet, à ce moment même, de ce coin du jardin où Jean Monneron l’attendait. Si la magie d’intuition qui avait décidé le jeune homme à se poster près de cette porte d’angle se fût exaltée jusqu’à la double vue, et s’il avait pu, des yeux de sa chair, percer le massif des maisons dressées devant lui, il eut aperçu celle qu’il aimait en train de suivre le trottoir de la rue Notre-Dame-des-Champs auprès de son père. Ils venaient, l’un et l’autre, de reconduire chez elle Mme Portier, la sœur mariée de Brigitte, et ils se préparaient à tourner par la rue Bara, qui débouche précisément en face de cette entrée du vieux jardin choisie par Jean. Et peut-être son énergie n’eût-elle pas tenu bon une minute, s’il eût pu non seulement la voir, mais l’entendre qui causait en tête à tête avec son père et parlait de lui. Il savait bien, quoique ne s’étant jamais permis de lui dire ses sentiments, qu’elle les avait devinés. Il croyait savoir aussi, malgré sa réserve, qu’il ne lui déplaisait pas. Il n’avait pas osé ima-