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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/312

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L’ÉTAPE

préparaient : elle, un précis de littérature française ; lui, le Timée de Platon, le tout à la plus grande approbation de leur père, qui leur avait dit, après avoir regardé les titres des volumes :

— « Vous avez raison : Singulas horas, singulas vitas puta… Considérons toutes les heures comme autant d’existences, c’est le moyen d’apprendre beaucoup. C’est un mot du vieux Sénèque. J’en avais fait ma devise au collège. Elle m’a valu mon rang à l’École. »

— « Moi, » avait répliqué la mère, « je voudrais bien leur faire lire un Manuel de la civilité puérile et honnête. Ils n’en seraient pas de plus mauvais professeurs pour être plus gracieux et plus polis… »

Jean n’avait pas plus fait attention à cette nouvelle sortie de sa mère qu’aux attitudes insolentes d’Antoine, à la phraséologie argotique de Gaspard, ou même aux propos de son père, si poignants d’illusion persistante. Après de tels avertissements et devant de telles évidences, l’optimiste était revenu à ses utopies — il relevait ce mot comme un titre d’honneur ! — avec un parti pris de sérénité absolue, où il entrait bien, cependant, de la volonté. Dans l’arrière-fond de son regard, ne restait-il pas la trace de la blessure reçue, quoiqu’il semblât, quoiqu’il voulût affirmer qu’il ne l’avait pas reçue ? Mais Jean n’avait plus la force de s’attendrir sur ces complications ni celle de tenir son rôle de « consolateur ». L’énigme des rapports de sa sœur avec Rumesnil