Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
320
L’ÉTAPE

appel, soit à sa bourse, soit à son influence ; — non pas qu’il se défiât de sa maîtresse ; il la connaissait trop ; — seulement il appréhendait que ce dangereux frère, dont il avait toujours eu médiocre opinion, qu’il savait maintenant capable d’un crime, n’entreprît, encouragé par son premier succès, d’exercer un chantage continu sur sa sœur, et sur lui, à travers sa sœur. Il avait donc décidé de recevoir Julie un peu froidement. Mais le trouble passionné de la jeune fille, sa sauvage ardeur à le prendre contre elle, ses phrases incohérentes, ses baisers, ses larmes, tout prouvait que cette « nouvelle extrêmement grave », dont parlait la dépêche, avait trait à un autre objet qu’une affaire d’argent… Que se passait-il ? La conscience d’Adhémar n’était pas tout à fait tranquille sur un point : depuis ces dernières semaines il commençait d’être lassé de Julie, et cette visite près de Malesherbes avait eu beaucoup moins pour but de fusiller des faisans que de pousser sa cour auprès d’une femme de son monde qui semblait toute prête à le « distinguer », comme eût dit un de ces Rumesnil d’il y a cent cinquante ans, auxquels leur descendant ressemblait tant et de toutes manières. Était-il possible que Julie eût eu vent de ce petit début d’infidélité ? La raison du débauché lui répondait non ; mais son expérience des complications infinies de la vie amoureuse lui donnait de vagues craintes que la franchise de la jeune fille détruisit aussitôt, car, à peine eut-elle repris son empire sur les mouvements désordonnés