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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/35

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UN AMOUREUX

mande. Je connais mon ancien camarade. Il met son point d’honneur à laisser ses enfants absolument libres. C’est la raison pour laquelle il ne les a pas fait baptiser. Il a voulu qu’ils choisissent, une fois majeurs, en pleine indépendance. Il est sincère dans cette persuasion qu’il ne les a jamais influencés. Cela n’empêche pas que, le jour où Jean viendra lui dire : « Je me marie à l’église et je suis catholique, » ce sera pour lui un déchirement, une faillite, la banqueroute de l’éducation morale qu’il a donnée à son fils. Il n’y a pas de neutralité vraie sur certains points. Monneron se croit tolérant. Il est un fanatique à rebours. La religion, pour lui, c’est le poids mort du passé, le legs de superstition d’une humanité inférieure. Il la hait de tout l’amour qu’il porte à ce qu’il croit le progrès et la raison. De voir Jean retourner à cette erreur, il en souffrira cruellement, et Jean le sait. Tu parles de conscience. Voilà le scrupule qui peut troubler la sienne »

— « Vous m’aviez bien dit, » reprit la jeune fille, après un silence, « que M. Monneron le père n’était pas religieux. Mais il ne s’agit donc pas d’une indifférence ? Il s’agirait d’une haine ? Vous venez de prononcer ce mot… Est-ce possible ?… Lui, un si honnête homme !… »

— « Il est un très honnête homme, en effet, » répondit M. Ferrand, « par tant de côtés. Et pourtant, tu as raison, ce n’est point par les portions hautes de son être qu'il sent ainsi. Son excuse, c’est qu’il ne se rend pas compte des