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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/353

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ET NE NOS INDUCAS

nible, qu’elle employa, pour s’y soustraire, son procédé habituel de ces derniers mois, quand elle éprouvait, comme ce soir, un besoin animal de silence autour de sa misère. Elle prit sur elle de s’arracher à cette torpeur douloureuse pour clore ses volets, préparer son lit et se coucher, après avoir, à travers la porte fermée au verrou, prévenu la servante qu’une forte migraine l’empêcherait de dîner. Toute lumière éteinte, n’entendant d’autres bruits que celui des allées et venues du côté de la salle à manger, combien de fois elle s’était abîmée dans le noir et le froid, pour s’abandonner à des pensées très funestes, moins pourtant que celle dont l’attirance s’emparait d’elle, petit à petit !… La tentation se déchaînait maintenant avec toute son ampleur. Les paroles de Rumesnil lui revenaient dans leur insinuante équivoque, et elle se les répétait comme sur le banc du boulevard des Invalides : « Il faut que ce ne soient pas des craintes… Tu ne dois pas être mère… Quelqu’un de très sûr… Je t’en tirerai… » À présent elle ne s’en indignait plus. Elle en dégageait le sens chirurgical, avec une joie méchante à se prononcer le terme hideux dont elles étaient le synonyme ambigu : l’avortement. C’était un avortement qu’il avait osé lui proposer !… Et que venait-elle donc de souhaiter elle-même ? De n’être jamais née. Par quelle lâcheté, pensant cela, le sentant par toutes ses fibres, que la vie est un mal, un horrible mal, s’était-elle révoltée tout à l’heure contre l’idée d’épargner cette vie détestable, à qui ? À un être