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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/372

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L’ÉTAPE

père de son amie. Il lui avait semblé par instants qu’un dessein du Dieu auquel croyait Brigitte, auquel il était si près de croire lui-même, se mêlait à des péripéties dont chacune le forçait de préciser des idées encore vagues et flottantes dans son esprit. Dominé par cette disposition très voisine du mysticisme, une demande faite au nom de la jeune fille devait le trouver sans résistance, étant donné surtout que M. Ferrand s’était servi presque des mêmes termes pour exercer à son égard la charité que Julie implorait de lui : « Nous ne sommes pas dans la convention, vous et moi, » avait dit le père de Brigitte, « nous sommes dans la vérité profonde… » Et puis, Jean avait senti sa sœur souffrir. Sans soupçonner encore l’étendue de la plaie ouverte dans ce cœur, il avait vu Julie saigner. C’en était assez pour qu’il considérât comme de son devoir de tenir la promesse qu’elle lui avait arrachée. La malheureuse, elle, n’avait pas tant calculé. Lorsqu’elle se retrouva dans sa chambre, après avoir quitté son frère, elle demeura tout étonnée du tour qu’avait pris cet entretien où l’avait jetée un élan irrésistible, irraisonné. C’était son amour qui avait agi en elle, presque malgré elle, ce besoin de savoir à tout prix si, oui ou non, son amant l’aimait. Un moyen dangereux s’était offert. Elle l’avait saisi instinctivement. Cette énergie calme, dont elle voyait Jean soutenu, lui avait soudain donné cette idée : l’employer à lire la vérité dans ce cœur de Rumesnil qu’elle n’arrivait pas à déchif-