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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/378

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L’ÉTAPE

avec des bourgeois. L’antithèse était trop forte entre la pauvre petite candidate à Sèvres, chétive et pâle dans sa robe de quatre sous, et ce beau garçon de haute mine, qui avait bien pu s’amuser, par dépravation, à séduire cette enfant, mais dans la vie de qui elle ne pouvait être qu’un épisode. Il avait sauté à bas de son phaéton, cependant, et, tandis que son cocher faisait marcher au pas les fringants chevaux, il échangeait avec Julie quelques phrases dont il ne paraissait pas soupçonner le tragique, car il les disait d’une bouche à demi souriante, sous l’or affilé de sa moustache. Son œil bleu luisait d’un regard aigu et caressant entre ses paupières finement plissées :

— « Que la sotte Julie a eu de l’esprit, » commença-t-il, « de m’attendre ici !… Elle a deviné que j’avais besoin de la voir. C’est pour cela que j’ai voulu aller chez Jean, au lieu de l’attendre chez moi. J’espérais avoir l’occasion de te remettre un billet. Ce n’est pas la peine de te le donner maintenant. Je t’y demandais simplement de venir rue d’Estrées le plus tôt possible, parce que j’ai trouvé… »

— « Quoi ? » demanda-t-elle haletante.

— « Mais ce dont je t’ai parlé, » dit-il. « La personne sûre. Elle habite au Gros-Caillou. J’ai pu avoir des renseignements dès hier au soir. Il faut que nous nous entendions pour nous y rendre dès cette semaine. Si les choses sont comme tu crois, il est important de ne pas tarder… » La pauvre fille ne pouvait pas savoir quels des-