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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/427

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LA CATASTROPHE

arrivé à tes fins !… Tu me forces de choisir entre la Tolstoï et ma conscience de socialiste. J’ai choisi… Je ne conduirai pas cet imposteur » — il montra l’abbé Chanut de son poing toujours fermé, — « à ces braves gens… » et il désigna la porte qui donnait sur la salle où grondait maintenant une tempête indistincte de hurlements contradictoires. « Je démissionne. Là, es-tu content ?… Mais la Tolstoï en crèvera. J’aime mieux ça, d’ailleurs. Nous nous retrouverons… Au revoir, Bobetière, tes aïeux que les ensoutanés dragonnaient seraient contents, s’ils te voyaient ! Les nôtres aussi, Monneron, qui peinaient sous la corvée pour nos seigneurs les calotins !…Quant à toi… » Il s’avança vers Crémieu-Dax, et le regardant avec une haine si intense qu’elle était inexprimable, il esquissa un geste, qu’il n’acheva pas, et il sortit de la pièce dans la direction de la grande salle, où son entrée fut saluée par une clameur de sa bande, suivie aussitôt d’un silence plus menaçant. Il prouvait que les « compagnons » amenés par lui étaient bien réellement enrégimentés. Qu’allait leur ordonner maintenant leur conducteur exaspéré ?

— « Il faut voter de nouveau, camarades… » dit Crémieu-Dax, qui avait, à cette furieuse apostrophe de l’ouvrier, opposé un masque impassible. Il était vraiment, dans cette tempête où son invivable Union risquait de sombrer, le capitaine debout sur le pont et dont chaque mouvement, chaque parole est une action précise, calme et calculée. Quand Riouffol s’était approché de lui.